Entête

ARLETTY UN CŒUR TRÈS OCCUPÉ

 

Théâtre des 3 S
4 rue Buffon
Avignon

16 juin 2024 Avant-première

à 18h

du 29 juin au 21 juillet 2024 relâche les lundis

 

Arletty un cœur très occupé loupe 

 

Le titre, comme un double écho ou un clin d’œil à celui du récit autobiographique de Nicolas d’Estienne D’Orves, Arletty, un cœur libre, recentre le personnage au cœur d’une controverse, celle des rapports humains dans une France occupée par l’ennemi. Le biopic Arletty, une passion coupable d’Arnaud Sélignac avec Laetitia Casta a proposé une remarquable interprétation du personnage d’Arletty, à la fois femme libre et néanmoins cœur « occupée » par une passion.

En 1946, punie par le Comité d’épuration et condamnée par un blâme et une interdiction de travailler durant trois ans, Arletty, l’actrice adulée est bannie pour sa mauvaise conduite avec l’ennemi. Elle est coupable d’avoir osé aimer un officier allemand mais surtout d’avoir suscité la polémique en affichant librement sa relation passionnelle avec Hans Jürgen Soehring de dix ans son cadet.

L’écriture subtile de Jean-Luc Voulfow en fait une magistrale héroïne.

Nous sommes en 1970, un jeune journaliste force la porte d'Arletty pour tenter de lui extirper des confidences sur cette passion qui s’est amplement exprimée par un abondant courrier. Passés les échanges un peu houleux entre l’actrice et le journaliste insistant, curieux de la questionner sur un sujet qu’elle ne souhaite plus aborder, Arletty, va progressivement accéder à la requête de plus en plus explicite de Samuel au prénom hébraïque « son nom est Dieu ». Sa jeunesse, son toupet, sa malice et son charme, après les réserves dues à la surprise de la rencontre, entrent vite en résonance avec le désir de dire et d’entendre d’Arletty et viennent à bout de ses réticences bien légitimes. Le journaliste, en fin stratège, lui lit des lettres de son amant et la prie de lui lire les siennes. S’instaure alors entre eux de délicieux échanges, remarquablement écrits par Jean-Luc Voulfow, témoignages s’il en est d’une parfaite compréhension du discours amoureux et des méandres de la passion exacerbée par les piments de l’absence et des retrouvailles. La proximité des mots d’amour écrits dans la séparation des deux amants annihile la distance, sert d’exutoire au manque et magnifie la liaison.

Le personnage d’Arletty porté par le talent de Béatrice Costantini joue les multiples facettes de la femme libre mais « toute entière à sa proie attachée ». De l’amante, à l’actrice, la comédienne, dans des déplacements mesurés en des pas de mannequin et la grâce d’une danseuse, est sous les projecteurs, sculpturale. Son apparition en scène, en tailleur et kavya blancs, son élégance transmise jusqu’au mouvement des mains, ses silences soulignés en regards éloquents l’auréolent au présent de sa gloire passée. Elle joue avec brio son personnage qu’elle livre bribes par… pans entiers à Samuel. L’entre tu et vous qu’elle lui concède apprivoise et approche « le monstre sacré ». Sans concession à la médiocrité, avec humour et clairvoyance, elle livre un beau face à face au jeune journaliste.

La complicité alliée de l’admiration que lui porte Samuel fait du rôle de ce dernier un révélateur, le réactif qui va permettre à Arletty de rejouer le feu d’une passion dont elle conserve en elle, dans les mots sus par cœur, toute l’incandescence.

Il n’est pas dans l’interprétation de François Nambot de moments qui ne servent à l’édification du personnage d’airain qu’il sculpte sous nos yeux. Ce qui prenait au début de l’entretien l’apparence d’une joute oratoire s’est bien vite mué en un duo complice, à la fois conscient avec humour et analysé avec une émotion grandissante.

Béatrice Costantini et François Nambot prennent corps dans la justesse d’une interprétation toute en finesse et les volutes de leur jeu nous entraînent au-delà de ce qui est hors propos, la guerre bien sûr mais aussi les jugements publics, la condamnation à la trahison.

Illustrant à merveille la définition de Paul Valéry, « Aimer consiste à être bête ensemble », l’évocation des mots doux de leur intimité « Biche » et « Faune » ne les confine pas au ridicule, car la passion les en préserve.

La mise en scène de François Nambot privilégie les contrastes du noir et du blanc et crée un zoom sur la photo de l’amant éternellement présent. Si présent et tellement rappelé par la lecture des lettres que la scène qui la fait se blottir dans les bras du journaliste livre toute la puissance et la fragilité de ce cœur farouchement libre mais si tragiquement occupé.

La création lumière de Jacques Rouveyrol module les moments où l’intensité des sentiments actualise les réminiscences qui fonctionnent alors comme de réels flashback.

Avant le fondu au noir final, Arletty sculpturale, transfigurée en femme plus classique, comme moins fantasmée par l’immense joie du cadeau de Samuel, lui tend le combiné téléphonique et la pièce se clôt en s’ouvrant formidablement.

À voir et revoir sans modération, à entendre aussi paupières entr’ouvertes.

Nadine Eid

 

Arletty un cœur très occupé

de Jean-Luc Voulfow

Avec Béatrice Costantini et François Nambot

Mise en scène François Nambot
Lumières Jacques Rouveyrol