TOUTE LA MISÈRE DU MONDE
Nouveau Théâtre de l’Atalante
10 place Charles Dullin
75018 Paris
Jusqu’au 6 décembre 2024 à 19h
Le titre pourrait faire penser à un spectacle de la triste réalité du monde, une exposition de la tragédie sociale d’une noirceur susceptible de flinguer en quelques dizaines de minutes toute miette d’optimisme, d’idéalisme que le spectateur innocent pourrait avoir apporté avec lui dans la salle, Toute la misère du monde, cela ne fait pas très Disney. Eh bien, il n’en est rien. C’est avec un ton résolument ironique, autodérisoire et décapant que commence le spectacle. Une scène comique à la Marx Brother, avec une bonne dose d’humour noir c’est vrai, met en place le lieu et la situation : un appartement bourgeois, une salle à manger et puis un fils qui négocie au téléphone avec les pompes funèbres l’enlèvement du corps de sa mère qui vient de décéder d’un coup, affalée sur la table, parce qu’il faut bien s’en débarrasser puisque ce grand fils plus que trentenaire a prévu un dîner qu’il ne veut absolument pas annuler.
Ce drame ne sera pourtant pas vraiment le moteur central de la pièce qui se penche sur une peinture sans concession de cette gauche nantie qui au fil des décennies use autant d’énergie à lutter contre le temps pour conserver ses convictions que pour tenter de changer la société. Cette soirée qui s’annonce un peu folle est en fait soir d’élection nationale. L’hôte, Gildas, ainsi que deux de ses convives, un couple quadra sont membres du parti socialiste. La quatrième convive est une amie d’enfance, podcasteuse pour Arte radio. Plus tard, un visiteur inattendu viendra semer un peu plus de flammes sur ce dîner où les échanges s’embrasent à mesure que le punch et le vin libèrent les espoirs, les angoisses, les rancunes, les désillusions et les maladresses.
Quelque chose vibre dès les premières minutes dans ce repas spécial. Une tension impalpable, qui ne quittera jamais le plateau, tension révélatrice de cette attente des résultats de cette élection cruciale qui semble agir en permanence sur l’inconscient des convives, toutes et tous extrêmement nerveux, entre crise de rire ou de larmes. Cela donne à toute la pièce une intensité jamais démentie et crée une sorte d’attente sans cesse renouvelée de ce qui va advenir dans les minutes qui suivent. Cette belle performance, tenir le public en haleine durant plus d’une heure trente, est due à la fois aux interprètes, au texte et à la mise en scène (ces deux derniers registres étant partagés entre Maya Ernest et Vincent Calas).
Un texte (Vincent Calas en collaboration avec Maya Ernest) qui regorge à tout moment d’humour et de punch-line mais qui réussit à donner le timbre juste aux personnages ainsi qu’à fouiller en profondeur les fondements, presque la foi, que les Bobos citadins français ne cessent de professer. Des déclarations d’humanisme et de solidarité qui ne sont jamais rendues ridicules, qui ne sont jamais non plus revendiquées ici comme des dogmes. L’humour ou plutôt le vrai sens comique du spectacle se charge de donner la distance suffisante avec les bons sentiments pour en rire sans s’en moquer.
La mise en scène de Maya Ernest en collaboration avec Vincent Calas se joue dans un décor simple d’une table, des chaises et un portrait de Lionel Jospin accroché au mur comme une enluminure précieuse. Pas de demi-mesure ici. Dans le jeu des interprètes d’abord qui, tout en se campant dans un réalisme physique absolu (habits vintage entre autres) dérive très vite vers l’excès, le petit grain de folie et d’inconscience qui les envoie s’épanouir dans le monde de la fiction. Dans la démesure assumée de certaines scènes ensuite, une démesure jouissive qui révèle la psychologie profonde de certains personnages.
Les six comédiennes et comédiens sont à la hauteur du projet. Largement. Chacune et chacun réussit à crédibiliser totalement son personnage. Et il faut applaudir à l’intensité et l’énergie qu’elles et ils mettent pour créer cet univers à la fois connu et mystérieux où les convictions sincères se heurtent entre elles et font de belles étincelles avec par instant, de vrais moment de désarrois, touchant et sombre comme il convient.
Car outre l’explosion comique qui ne cesse de grandir tout au long du spectacle, le vrai fond de l’histoire est bien la fin, la mort, le décès, celui de la mère de ce pauvre Gildas qui ne sait que faire et celui du socialisme en ce soir d’élection où le parti va faire moins de cinq pour cent des voix.
Bruno Fougniès
Toute la misère du monde
Texte : Vincent Calas en collaboration avec Maya Ernest
Mise en scène : Maya Ernest en collaboration avec Vincent Calas
Avec : Capucine Baroni, Léonard Bourgeois-Tacquet, Vincent Calas, Pauline Fournier, Ferdinand Niquet-Rioux, Louve Reiniche-Larroche
Lumières : Olivier Oudiou
Costumes : Marilou Caravatti
Masque : Julien Donnot
Regard extérieur : Victor Boyer
Mis en ligne le 4 décembre 2024
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