LES SUPPLIQUES
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie -route du Champ de manœuvre
75012 Paris
01 43 28 36 36
Jusqu’au 16 février
du mardi au samedi 20 h, dimanche 16 h
Photo © Simon Gosselin
Il existe des blessures qu’il est bon de rouvrir régulièrement pour empêcher qu’elles cicatrisent, qu’elles deviennent indolores, incolores et finissent par s’effacer. Les exactions, les atrocités, les monstruosités commises pendant la seconde guerre mondiale font partie de ces blessures de l’âme qui ont démoli une bonne part de l’espoir en l’humanité que l’on rêverait d’avoir. Une période si riche en noirceurs que l’on continue de découvrir dans ses restes, ses archives, encore et encore des fragments de vies brisées par la machine à tuer inventée par le nazisme. Pour écrire Les Suppliques, Julie Bertin, Jade Herbulot ont plongé, grâce à l’historien Laurent Joly, dans ces archives comme dans un fleuve d’appels à l’aide figés dans le temps.
Ces archives accumulent des centaines de lettres écrites entre 1941 et 1943 aux autorités de Vichy pour obtenir des informations, des nouvelles, de proches disparus, arrêtés, déportés. Parmi elles, des suppliques directement adressées au Maréchal Pétain. Dans ces archives également, les réponses, quand elles existent, de l’administration et principalement du Commissariat général aux questions juives qui fut l’organisation offerte par Pétain et Laval aux nazis pour appliquer leur décisions antisémites : interdictions aux juifs de travailler dans la plupart des métiers, du commerce, spoliation des leurs biens, de leurs comptes bancaires, des leurs entreprises, obligation de porter l’étoile de David sur les vêtements pour n’en citer que quelques unes.
La narration des Suppliques commence à notre époque par l’entrée sur scène (une scène au centre d’un public installé en bi frontal) d’une jeune femme. Elle sera la bienveillante guide qui ouvrira la porte de la quête qui va nous porter jusqu’en 1942 en narrant sa propre histoire, sa propre recherche, celle des traces, des noms de membres de sa famille disparus pendant la guerre. Ces noms, elle tente de les découvrir lors d’une sortie scolaire au mémorial de la Shoah à Paris, sur le mur des noms. Un mur représenté soudain par la longue estrade rectangulaire recouverte de toile grise, au centre de la scène, sur laquelle vont évoluer tous les personnages de la pièce.
Elles seront six familles incarnées par les quatre interprètes. Six familles décimées dont l’un des membres a été à l’origine d’un des échanges épistolaires retrouvés. Julie Bertin et Jade Herbulot recréent et réinventent les existences de ces familles dans l’espace temps où le drame de la guerre s’abat sur eux. Et c’est toute la beauté de ce spectacle que de s’attacher à cette foule de personnages dans ce qu’ils ont de sincère, d’innocent, de crédule mais aussi de leurs noblesses de sentiment et de leurs colères désarmantes et désarmées.
Dans un rythme sensible, terriblement sensible, les quatre interprètes vibrent à l’unisson comme s’ils ressentaient l’extrême responsabilité de leurs rôles : ne pas trahir, donner le juste, le vivant, le sensible. Ils sont lumineux. Le procès des responsables allemands et français de ces morts injustes n’est pas l’objectif ici. Toute l’attention des créatrices se porte sur l’impuissance déroutante dans laquelle des lois indignes jettent soudain ces familles, brisant d’un coup les droits de toute une partie de la population d’un pays. Un rappel salutaire à la fragilité de nos droits, à la nécessité de les défendre, pour tous.
Bruno Fougniès
Les Suppliques
Conception, écriture et mise en scène Julie Bertin, Jade Herbulot – Le Birgit Ensemble
D’après les lettres de Rachel Schleifer, Gaston Lévy, Renée Haguenauer, Alice Grunebaum, Léon Kacenelenbogen, Charlotte Lewin
Avec Salomé Ayache, Marie Bunel, Pascal Cesari, Vincent Winterhalter et les voix de Bénédicte Cerutti et d’Éric Charon
Conseil historique Laurent Joly
Enquêtes généalogiques Aude Vassallo
Scénographie James Brandily assisté d’Auriane Lespagnol
Construction Anthony Nicolas
Lumières Jérémie Papin assisté de Théo Le Menthéour
Son Lucas Lelièvre
Costumes Pauline Kieffer assistée de Constant Chiassai-Polin
Collaboration chorégraphique Thierry Thieû Niang
Régie générale Marco Benigno en alternance avec Victor Veyron
Mis en ligne le 2 février 2025
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