Entête

LE CARTOGRAPHE

 

Théâtre de l’Opprimé
78/80 rue du Charolais
75012 Paris
01 43 45 81 20

Jusqu’au 19 décembre
Du mercredi au samedi à 20h30 et dimanche à 17h

 

Le Cartographe loupe

Photo @ Ariane Elmerich

 

Le passé, la mémoire, les vestiges de l’Histoire comme les voyages ont besoin de cartes. C’est dans ce temps sans cesse disparaissant que se déroule la pièce Le Cartographe. De 1940 à nos jours, les personnages et les fantômes vont faire revivre le passé. Le leur et celui de l’Histoire traversant Varsovie.

Blanche (incarnée avec une extrême profondeur par Charlotte Pradeilles) est l’un de ces personnages. Elle sera le premier des guides aveugles qui vont nous emmener au fil de la narration. Épouse d’un attaché d'ambassade français nouvellement arrivée dans la capitale de la Pologne, elle découvre par hasard une exposition de photos dans une synagogue, des photos prises pendant la guerre. Elle part alors à travers la ville à la recherche des traces de l’ancien ghetto, celui de 1940, ville dans la ville, enclave-prison à ciel ouvert où des centaines de milliers de juifs furent enfermés par les nazis. C’est ainsi qu’elle apprend l’histoire du cartographe.

C’est en partie cette histoire que raconte la pièce de Juan Mayorga, et en parallèle, celle de Blanche que les ruines du ghettos renvoie aux ruines de sa propre vie et qui part à la quête de ce cartographe, mais aussi d’autres destins qui traversent la pièce comme Déborah, une autre cartographe, plus tard, dans l’emprise de l’État polonais soviétique. Pour ces trois principaux destins, la carte est l’arme de la liberté, de la libération, du vrai.

Juan Mayorga s’empare de ce symbole et en développe avec précision les forces, les extensions. Ce seront trois vies.

Pendant la guerre, le Cartographe aidé d’une petite fille décide de tracer la carte du ghetto. Il pressent que celui-ci finira dans les flammes, dans l’oubli. La carte sera arme pour lutter contre l’effacement de la mémoire. De nos jours, Blanche dessine dans les contours de son corps la carte de son propre passé, les lieux, les événements. Des années 60 aux années 90, Déborah décide de partir pour Sarajevo et cartographier la ville en traçant des parcours pour éviter les snipers.

Cartographier c’est s’emparer de la réalité, l’intégrer. Cela peut-être aussi un pouvoir dangereux.

Pour mettre en scène ce texte aux multiples lieux et époques, Hervé Petit choisit l’élégance de la sobriété. Un dispositif scénique fait de panneaux fixes en fond de scène permet des changements rapides. Quelques accessoires et des jeux de lumière suffisent à planter le décor, souligné parfois par une brève indication d’année. C’est surtout sur un très puissant travail d’acteur que la mise en scène fonctionne. La présence des huit comédiennes et comédiens est totalement projetée vers les spectateurs, et les scènes vives, bien interprétées, donnent un rythme intense à l’intrigue de la pièce.

Sans faire aucun tort aux comédiens, les trois comédiennes Myriam Allais , Charlotte Pradeilles, Céline Rotard Prineau (qui interprète la petite fille) sont dans cette pièce comme trois lumières éclairant le monde. Elles incarnent avec énergie, profondeur et vérité chacune leurs personnages. Ce sont elles les cartographes. Elles les créent les chemins, les défendent, les dévoilent, comme des gardiennes de la mémoire.

Bruno Fougniès

 

Blanche se promène dans Varsovie plutôt que d’assister aux événements auxquels son diplomate de mari est invité. En se promenant, elle entre dans une synagogue où sont exposées des photographies de l’époque du ghetto. Elle se met alors en tête de retrouver les lieux où avaient été pris les clichés, mais les paysages et les rues ont changé… Sur l’un des clichés, un homme semble donner une boussole à une petite fille, il s’agit du cartographe du ghetto. Blanche commence alors à chercher la carte que celui-ci avait réalisée dans les années quarante avec l’aide de sa petite fille, Déborah.

Sur scène, Blanche, magnifiquement interprétée par Charlotte Pradeilles, est prise dans sa quête au point d’être incomprise par son mari et d’apparaître presque possédée. Ces moments alternent avec une plongée dans les années 1940 au moment où le vieux cartographe, qui ne sort plus de chez lui, envoie sa petite fille, bien déterminée à l’aider, cartographier le ghetto. Les mondes de Blanche et Déborah pourront-ils se rejoindre ?

L’œuvre de Mayorga donne à voir l’importance de la transmission et interroge les questions d’héritage et de mémoire. La réflexion sur la cartographie est également poétique: dessiner une carte, c’est faire un choix. C’est occulter des choses et choisir les traces des lieux, des personnes, des faits que l’on veut laisser en souvenir. L’Histoire de Varsovie et l’histoire personnelle de Blanche sont ainsi cartographiées : Déborah le fait pour transmettre avec précision l’organisation du ghetto, tandis que la quête mémorielle de Blanche, liée à cette période de violence, jouera un rôle dans son propre parcours existentiel. Ainsi, elle dessinera sa propre carte, celle de son histoire, de ses souffrances.

La mise en scène d’Hervé Petit et le jeu des comédiens, tout en sobriété, laisse comme souvent dans les œuvres interprétés par la Compagnie La Traverse, une vraie place au texte, avec beaucoup d’humilité. Une pièce qui offre la possibilité au spectateur de réfléchir à ces thématiques universelles de l’Histoire et de la mémoire, de la trace et de l’oubli.

Ivanne Galant

 

Le Cartographe

Une pièce de Juan Mayorga
Traduction : Yves Lebeau (publiée aux éditions Les Solitaires intempestifs)
Mise en scène : Hervé Petit
Scénographie : Cie La Traverse en collaboration avec Caroline Mexme
Costumes : avec la participation de Marine Vouard
Création sonore : Viviane Redeuilh
Lumière : Tanguy Gauchet

Distribution : Myriam Allais, Laurent Bariteau, René Hernandez, Raphaël Mondon, Hervé Petit, Charlotte Pradeilles, Céline Rotard Prineau et Nicolas Thinot