Entête

JE SUIS PERDU

 

Théâtre de la Tempête
Cartoucherie – Route du Champ-de-Manœuvre 75012 Paris
Tél : 01 43 28 36 36

Jusqu’au 23 juin
du mardi au samedi 20h30, dimanche 16h30, relâche les lundis

 

Je suis perdu loupe

 

 

Je suis perdu… les trois vocables de ce titre pourraient être, pris séparément, les titres des trois pièces qui composent ce spectacle. Car il s’agit bien de trois petites pièces, très différentes les unes des autres, des styles narratifs différents, des ambiances différentes, des personnages différents. Et même si ce sont les trois mêmes interprètes qui incarnent ces personnages, il est une autre chose qui forme une unité.

Un thème. Celui de l’étranger. Du regard porté sur l’étranger mais aussi du regard que l’étranger porte sur l’autochtone. Et c’est là la grande force et la grande originalité de Je suis perdu. L’auteur et metteur en scène Guillermo Pisani nous propose de montrer non seulement ces deux regards mais surtout de montrer la manière dont ces deux regards se croisent, sans parvenir, le plus souvent, à voir l’autre. Ainsi, chacune des pièces, un immigré ou une immigrée non-européenne est au centre de l’intrigue.

Trois pièces donc, et trois styles. La première (qui peut être Je), a des allures de théâtre contemporain anglais, avec des silences, le mur de la langue, et les incompréhensions qui deviennent soupçons. Une jeune femme, professeur, héberge un migrant en attente de régularisation. Le ton est lourd, tendu mais traité sous l’angle de l’humour, de l’étrangeté des rapports qui s’instaurent entre cette femme qui se laisse envahir par la méfiance vis-à-vis de son hôte tandis que lui, finit par voir cette femme comme une sorte de prédatrice aux intentions vaguement érotiques.

La deuxième met en jeu un auteur de théâtre syrien qui arrive dans un lieu de résidence de création pour un texte dramatique retraçant son périple pour arriver jusqu’en France. Cette résidence pour ce texte douloureux, il n’en veut pas. Il est auteur. Il a écrit un vaudeville qui se déroule dans le milieu de la mairie de Paris. Mais la directrice du lieu ne parvient pas à voir l’auteur fantaisiste dans l’homme à la trajectoire tragique qu’elle voit en face d’elle. Va pour Suis. Ou Je Suis. Dans les deux  sens.

La troisième partie, Perdu, adopte un ton de d’intrigue pour nous plonger dans le monde de la recherche du CNRS. Une jeune étudiante, d’origine étrangère, vient d’être recrutée par sa directrice de thèse qui dirige également le labo. Une thèse sur des recherches neurologiques qui a attiré l’attention des scientifiques et suscite le plus grand intérêt. Dans cette partie, un jeu de dupe croisé s’organise, et provoque une défiance généralisée. La jeune chercheuse paraissant tour à tour victime ou manipulatrice, au même titre que les autres protagonistes.

Guillermo Pisani ne se contente pas de monter différentes situations dans un but pédagogique ni curieux, il fait théâtre et pousse les intrigues jusqu’au bout, parfois jusqu’à leurs paroxysmes comiques comme dans la répétition d’un vaudeville débridé. Les rires qu’il provoque ne font qu’ajouter du piment à la gravité du propos qui finalement expose l’impossible capacité à voir l’autre tel qu’il est à force d’en attendre d’avance quelque chose. Force des préjugés dont l’auteur est exempt puisque les préjugés, dans ce spectacle, sont des deux côtés.

Les trois interprètes, Caroline Arrouas, Boutaïna El Fekkak, Arthur Igual façonnent chacune et chacun trois personnages totalement différents pour les trois pièces. Presque sans accessoires, avec uniquement l’art d’incarner, il parviennent en quelques secondes à les rendre crédibles. C’est une réelle performance, d’autant que les styles de jeu, eux aussi varient, de la sobriété la plus assumée, au réalisme le plus efficace en passant par l’exagération vaudevillesque la plus déchaînée. Bravo à eux.

Bruno Fougniès

 

Je suis perdu

Texte et mise en scène Guillermo Pisani

Avec Caroline Arrouas, Boutaïna El Fekkak, Arthur Igual

Lumières Clara Pannet
Sur une conception de Bruno Marsol
Conseil scénographie, costumes Céline Perrigon