Entête

JE SENTAIS VENIR LA TEMPÊTE

 

Théâtre de Belleville
16 passage Piver
75011 Paris
01.48.06.72.34

Jusqu’au 25 mars 2025
Le lundi et le mardi à 19h15
Le dimanche à 19h

 

Je sentais venir la tempête loupe

Photo © Suzanne Barbaud

 

La maison de Bernarda Alba, sans Bernarda et avec un peu plus d’espoir. Dans cette adaptation de La Maison de Bernarda Alba, le texte original de Federico García Lorca (1936) s’enrichit de monologues qui s’intègrent harmonieusement à la pièce. Bernarda, bien que physiquement absente, impose son autorité. Ses cinq filles vivent enfermées entre les murs de la maison familiale, devant respecter un deuil de plusieurs années après la mort de leur père.

Prisonnières d’un quotidien immuable, les sœurs répètent inlassablement les mêmes tâches, les mêmes conversations. Elles brodent des draps et fantasment chacune à sa manière, autour de Pepe El Romano, promis à l’aînée, Angustias. L’oppression est palpable, tout comme la rivalité, les injonctions faites aux femmes et le poids du regard des autres, notamment à travers le jugement porté sur une femme “libre” du village qui met en lumière les tensions entourant la sororité.

Les cinq comédiennes incarnent avec justesse et intensité les personnages de Lorca. Angustias, la plus âgée, demandée en mariage pour son argent (Claire Marx) ; Martirio, rongée par l’envie (Julie Duquenoÿ) ; Amelia, pour qui « naître femme est le pire des châtiments » (Ruthy Scetbon) ; Magdalena, plutôt soumise (Sophie Anselme)  et enfin Adela, la rebelle en robe verte (Ana Torralbo), avide de vie et de liberté, qui croque à pleines dents une orange, symbole de son désir fulgurant.

Côté mise en scène, les traditionnels contrastes entre le noir du deuil et le blanc des murs andalous, laissent place à une palette de couleurs plus chaudes : de grands pans de tissus couleur terre de Sienne, un sol en tommettes, des vêtements dans les mêmes teintes. L’atmosphère s’en trouve adoucie. Elle l’est aussi par les chants et les danses, omniprésents, avec des choix parfois surprenants, voire audacieux, mais qui fonctionnent toujours très bien. La chanson d’ouverture, Los Cuatro Muleros—mélodie populaire espagnole que Lorca avait intégrée à sa Colección de Canciones Populares Españolas— est un moment de partage entre les sœurs qui se veut joyeux, mais qui annonce d’emblée les tourments à venir. À travers la métaphore des muletiers et de leurs mules, le texte évoque l’amour secret et l’attraction irrésistible, écho aux sentiments qui enflammeront la maison autour du personnage de Pepe El Romano.

L’adaptation réussit à préserver toute la symbolique lorquienne. Ainsi, l’eau, métaphore du désir, est omniprésente : carafes et verres sont sont déplacés, bus, remplis à ras bord, vidés, renversés, jusqu’à tremper les habits des comédiennes. Autre changement quant au texte original : de Maria Josefa, la grand-mère, souvent considérée comme le personnage le plus clairvoyant de la pièce malgré une apparente folie, n’a été gardée que la voix. Telle une prophétesse, elle annonce les maux qui accableront les sœurs. Elle sait que, dans chaque chambre, une tempête est prête à éclater, un désir de fuite, une aspiration à un ailleurs si forte qu’elle changera, pour une fois, et enfin, la destinée des personnages de Lorca.

Ivanne Galant

 

Je sentais venir la tempête

D’après La Maison de Bernarda AlbaFederico García Lorca
Texte: écriture collective d'après Federico Garcia Lorca

Mise en scène et interprétation: Sophie Anselme, Julie Duquenoÿ, Claire Marx, Ruthy Scetbon et Ana Torralbo
Avec la voix d’Estelle Meyer 

Scénographie : Suzanne Barbaud 
Création sonore : Julie Duquenoÿ 
Lumières : Noémie Richard 
Costumes : Marion Duvinage 
Regards extérieurs : Alix Kuentz et Elise Roth