Entête

MOLLY

 

Théâtre de l’Essaïon
6 rue Pierre-au-lard
75004 Paris
01 42 78 46 42

Jusqu’au 2 juillet 2024
les lundis et mardis à 21h.

 

Molly loupe 

 

Dans Ulysse, l'œuvre titanesque de James Joyce, définie comme "une cathédrale de prose"... on s'attache souvent au monologue de fin, celui de Molly, épouse du héros, Léopold Bloom.

Cette femme parle, elle se confie. Son mari est rentré tard, vers deux heures du matin. Il a plongé aussitôt dans le sommeil, mais elle  veille. L'occasion de faire une sorte de bilan de son existence, d'évoquer le passé, le présent... voire le futur.

Ce monologue (une soixantaine de pages chez Joyce) est un chant à la fois comique (parfois) et désespéré. Il y a du Tchekhov là-dedans, dans cette façon, habile, de mélanger impressions et sensations, de revisiter ses voyages, les gens qu'elle a connus, ses amours, la première fois avec son mari, plus l'évocation de quelques amants.

Ce monologue écrit, et même très écrit, sous des dehors "parlés" a fait scandale : nous étions en 1904 et une femme se permettait de décrire, dans un langage très cru (pour l'époque) sa sexualité, son approche à la fois sensorielle et imaginative de l'autre, l'homme.

L'humour chez Joyce, comme chez Beckett (qu'il a influencé) est parfois trash : personne ne s'en plaint et ces notes plus "légères" sont une sorte de respiration dans une prose haletante, qui commence par un "oui" et finit par un autre "oui" fort différent, un "oui" éperdu d'attente, de plaisir anticipé.

Un texte, une comédienne : le dispositif, par force, vise à la simplicité. Sous les voûtes en pierre de la petite salle d'Essaïon, un fauteuil assorti d'un repose-pied.

Nous pourrions aussi bien être chez Molly Bloom que chez un psychanalyste.

Hélène Arié, qui a réalisé l'adaptation, co-signe la mise en scène et joue, s'est fortement impliquée dans ce spectacle. Elle y a mis son expérience, sa sensibilité.

On aurait pu imaginer une Molly différente, plus "premier degré". Avec une sensualité plus affirmée. Mais chacun, après tout, peut imaginer la Molly qu'il veut.

La comédienne lui prête, en tout cas, une sorte de gravité que vient éclairer des élans d'attendrissement : elle dit avec aplomb les formules choc de Joyce : « Il n'y a pas plus fou qu'un vieux fou ! » ou bien « Les hommes, tous enragés à retourner là d'où ils sont sortis ! » ceci assorti de considérations sur un évêque et ses visions archaïques ou de ruptures de ton : « Je prendrai un peu de posisson demain... enfin tout à l'heure ! »

Molly est une féministe avant la lettre, revendiquant le plaisir pour la femme (les hommes sont trop pressés) se rebellant contre la violence (il n'y a pas de femmes dans la guerre) ou se lançant dans l'éloge des mères.

Au final, Hélène Arié sert bien le texte. Elle nous fait partager cette nuit du 16 juin  1904 telle que l'a écrite Joyce. Elle nous restitue avec élégance cette femme... parmi d'autres femmes.

Gérard Noël

 

Molly

Texte : James Joyce
Mise en scène  de Hélène Arié et Antony Cochin

Jeu : Hélène Arié 

Création lumières : Jean-Luc Chanonat
Costumes : Roberto Rosello
Création musicale : Céline Andréani
Création sonore : Enzo Bodo