Entête

LA CHAIR EST TRISTE HÉLAS

 

Théâtre de l’Atelier
1 place Charles Dullin
75018 Paris
01 46 06 49 24

Jusqu’au 25 octobre 2025
Du mardi au samedi à 21h
Les dimanches 21 septembre et 5 octobre à 17h

Relâches les 26, 27 et 28 septembre et le 14 octobre

 

loupePhoto © Christophe Raynaud de Lage

 

La grève du sexe. Depuis six ans. C’est ce qu’avait expliqué Ovidie dans son livre La chair est triste hélas, publié en 2023, porté maintenant sur scène par Anna Mouglalis.

L’élément déclencheur de cette décision a été pour Ovidie une sensation de dégoût. Une sensation personnelle qu’elle a ensuite théorisée, afin de proposer une réflexion sur ce qu’est et ce qu’induit le sexe pour une femme hétérosexuelle, ainsi que sur toutes les implications que le sexe a sur la vie en général.

Tout est perte de temps ou douleur, ou les deux à la fois. Se faire épiler le maillot, attraper une mycose ou une cystite, se rajouter des seins, se faire enlever des rides, sans parler des relations sexuelles elles-mêmes, qui lorsqu’elles ne sont pas forcées ou douloureuses sont simplement ennuyeuses. Le sexe structure les relations hétérosexuelles où rien n’est gratuit : toute attention d’un homme à une femme (un cadeau, une addition payée, un massage) exige alors une contrepartie. Sexuelle, évidemment.

Si Ovidie excelle dans l’art de la comparaison, Anna Mouglalis excelle dans l’art de les restituer, avec toujours beaucoup d’ironie, un ton et une gestuelle qui parviennent à faire sourire et même rire, tout en invitant à la révolte. Une femme chez le gynéco est une “bagnole chez le garagiste”. Une femme ménopausée, un yaourt périmé que certains jettent à la poubelle tandis que quelques courageux oseront le manger. Et l’homme ? Un impérialiste qui prend les corps pour des terres à coloniser – évidemment, chaque fois plus jeunes, des terra incognita – pour ensuite tout brûler derrière.

Le spectateur suit donc le fil de l’argumentation, qu’Anna Mouglalis interprète, vit et partage avec une grande force de conviction. En tant que mannequin et actrice, elle n’est sans doute pas étrangère à ce que dénonce Ovidie – qui a été au début des années 2000, actrice et réalisatrice de films pornographiques. L’écriture d’Ovidie relevait de l’intime, presque d’un journal théorisé, adressé à un lectorat qui lisait en silence. Sur scène, par la voix et le corps d’Anna Mouglalis, ce récit devient une expérience collective. Le « je » devient un « nous » qui interpelle chaque spectateur.

Le texte, dense, est entrecoupé de moments de projection qui donnent à voir la matérialité crue de ce que les mots analysent. Ils marquent des moments de pause qui permettent une confrontation directe avec l’imaginaire et le corps du spectateur. On y voit des petites filles hypersexualisées lors de concours de miss, des manipulations gynécologiques, des opérations de chirurgie esthétique, le tout sur la musique de Geoffroy Delacroix qui appuie la violence des images.

Le texte et les images montrent ainsi le corps féminin réduit à un champ de bataille, contraint par des normes, un marché, un système de domination. Toutes les femmes se retrouveront à certains moments – plus ou moins nombreux, selon la chance et les expériences vécues –, tandis que les messieurs accompagnant leur conjointe semblent ravaler leur salive, mais applaudissent vigoureusement en fin de spectacle.

À mesure que la pièce avance, on comprend que cette « grève du sexe » n’est pas qu’un retrait individuel, mais une proposition radicale : se soustraire à la mécanique du désir tel qu’il a été construit par le patriarcat. Se réapproprier son temps, son énergie, son corps, en refusant l’échange inégal et les assignations. Le texte oscille entre pamphlet et confession, et l’interprétation de Mouglalis lui donne une dimension presque incantatoire. Sa voix grave, son port altier, son ironie sombre transforment ce monologue en manifeste théâtral.

On sort du Théâtre de l’Atelier secoué, amusé parfois, mais surtout interrogé. La pièce ne propose pas de solution clé en main, mais place le spectateur face à un miroir brutal. La chair est triste, mais l’intelligence et la colère qu’elle suscite pourraient laisser entrevoir une autre façon d’habiter son corps, son désir et sa liberté.

Ivanne Galant

 

La Chair est triste hélas

De Ovidie
Adaptation et mise en scène : Ovidie
Collaboratrice à la mise en scène : Marie Fortuit

Avec Anna Mouglalis

Musique / Bande sonore : Geoffroy Delacroix
Montage : Barbara Bascou
Création lumière : Robin Laporte
Scénographie : Grégoire Faucheux
Costumes : Jenn Pocobene