PREMIER AMOUR

 

La Croisée des Chemins
120 bis rue Haxo
75019 – Paris

Jusqu’au lundi 21 octobre
les mercredis et jeudis à 21h

 

Premier amour loupe 

 

« Qu’est-ce que cela peut faire qu’un cri soit faible ou fort ? Ce qu’il faut, c’est qu’il s’arrête. Pendant des années, j’ai cru qu’ils allaient s’arrêter ; maintenant, je ne le crois plus. Il m’aurait fallu d’autres amours peut-être, mais l’amour, cela ne se commande pas. »

C’est sur ces paroles que se termine Premier Amour de Samuel Beckett, l’un des premiers textes qu’il ait rédigé directement en français. Nous sommes à la fin de la seconde guerre mondiale, il ne sera publié aux Éditions de Minuit qu’en 1970.

Il ne s’agit pas d’une pièce de théâtre mais d’une nouvelle, rédigée à la première personne, pouvant ainsi être présentée sous forme de one man show bien que plusieurs personnages interviennent. Pour cette interprétation, la mise en scène reste limitée au minimum : gestuelle, décor, musique… respectant les consignes laissées à Jérôme Lindon, Directeur de la Maison d’édition et exécuteur testamentaire. N’interviennent ainsi sur le plateau que Jean Michel, Roland Gomes et sa guitare qui marqueront les huit temps du spectacle par un court intermède, et… un escabeau, aux fonctions multiples hormis celle qui est vraiment la sienne.

Régulièrement, "Premier Amour" revient à l’affiche dans les théâtres. Jean Michel la reprend cet automne et se produit depuis le 8 septembre à La Croisée des Chemins à Paris dans une mise en scène de Jean Pierre Ruiz. Il nous interpelle immédiatement et nous capte en ce lieu par l’intensité de son jeu si particulier. Car au-delà des doutes, des perturbations, de la souffrance exprimés par la tension, l’agitation des mains maltraitées, c’est le Samuel Beckett perturbé, issu d’une famille stricte bien qu’aimante – trop peut-être même – qui transparaît. S’y révèlent sa vision pessimiste de l’être humain, son humour conditionnés par un sens aigu de la dérision, de l’absurde. On se prend au mode d’expression désaxé, aux mots haut perchés, le langage employé allant jusqu’à osciller entre vulgarité, sarcasme et dédain.

Tout dans cette interprétation est parfaitement saisi et restitué : l’individu négligé mais précautionneux, perturbé et stressé, ses "tics", ses manies ; ses doutes, son agitation intérieure, ses incompréhensions, son questionnement, ses attentes et ses espoirs déçus, son désespoir, son profond narcissisme …
Une heure rythmée "seulement" par un semblant de vagabond égoïste et sarcastique que l’on essaie tant bien que mal d’attraper, de capter, mais qui fuit, s’isole, perd la mémoire et se perd lui-même dans les petits papiers sur lesquels il note ses pensées, ses idées, voire son épitaphe.
Une heure face à un homme sous dépendance, en manque total…  de qui, de quoi ? Son père disparu auquel il était fortement attaché ?... Sa mère, dont il ne dit rien et qui semble inexistante ? … Sa femme, premier amour délaissé ? … Son enfant qu’il a abandonné ? …

Sans conteste, cette interprétation du Premier Amour est magistrale, à voir absolument, par le public parisien, ceux et celles qui pourront se rendre à l’une des représentations programmées, les passionné.es du théâtre de Beckett et de Beckett lui-même.

Catherine Giraud

 

Premier amour

de Samuel Beckett
Direction : Jean-Pierre Ruiz

Avec : Jean Michel (Illustration musicale : Roland Gomes)