Entête

LA PLACE

 

Théâtre de Belleville
16 Passage Piver
75011 Paris
01 48 06 72 34

Jusqu’au 29 avril 2023
Mercredi et jeudi à 21h15
Vendredi et samedi à 19h15

 

La Place loupePhoto © Yannick Perrin

 

Annie Ernaux est souvent adaptée au théâtre. Peut-être parce que l’œuvre de l’autrice prix Nobel de Littérature (2022) s’inscrit continuellement dans l’air du temps. Notamment pour la question des transfuges de classes : pas plus tard qu’en mars 2023 Philosophie Magazine proposait un dossier intitulé « Transclasses : sommes-nous déterminés par nos origines sociales ? ». Les héritiers d’Annie Ernaux sont en effet nombreux – Édouard Louis, par exemple, qui a lui aussi écrit sur ses parents.

C’est d’ailleurs en adaptant pour le théâtre le roman Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu que le metteur en scène Hugo Roux a senti la nécessité de faire de même pour La Place (Prix Renaudot en 1984). Dans ce seul en scène, Lauriane Mitchell est à la fois personnage et narratrice, un procédé qui donne parfaitement à voir la fameuse « écriture plate » d’Annie Ernaux, faite d’objectivité et de distance, sans « poésie du souvenir ».

La pièce s’ouvre sur deux événements marquants de la vie de la protagoniste, mais aussi de l’autrice car le texte est autobiographique : l’obtention du CAPES de Lettres Modernes et, deux mois plus tard, le décès de son père. À partir de là, le récit familial et les souvenirs, de celle qui changea de place, passant de la vie modeste dans une petite ville normande où ses parents tenaient une épicerie, à la petite bourgeoisie qui voyage en première classe. Elle remonte au XIXe siècle pour expliquer la trajectoire du défunt, fils d’agriculteur, paysan, ouvrier, commerçant : il avait déjà commencé l’ascension sociale de la famille. De la culture de la terre à la culture des livres, les souvenirs refont surface grâce à des objets enfermés dans des valises de différentes tailles, ce qui illustre à la fois l’enfouissement du passé et le déplacement opéré par la protagoniste. À chaque objet, un épisode de sa jeunesse.

Malgré l’objectivité du ton et la pudeur qui se dégage du jeu de l’actrice, particulièrement juste et fin, il y a de l’émotion. Malgré la distance, les différences pointées par le personnage et les décalages que l’on ressent entre la fille et le père – le souvenir de la visite des amies de la protagoniste dans la maison familiale, avec des parents tendus, voulant bien faire ou en faire trop est particulièrement touchant. Le jeu de Lauriane Mitchell et la mise en scène d’Hugo Roux pointent particulièrement bien les tensions entre la volonté de se défaire de son milieu et l’attachement à ses origines.

Ivanne Galant

 

La Place

Texte : Annie Ernaux

Avec Lauriane Mitchell

Mise en scène : Hugo Roux
Scénographie et costumes : Alex Costantino
Lumières : Lou Morel
Administration : Marion Berthet