Entête

DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON

 

Théâtre du Girasole

 

loupe 

 

Prisca Lona, bonjour et bienvenue sur Regarts.org, tout d’abord pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Bonjour,
Je suis comédienne. Je joue dans deux pièces au Festival Off Avignon 2025 : Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, création Off 2025,  et Cendres sur les mains de Laurent Gaudé, succès Off 2023 et 2024, au Théâtre du Girasole. La Compagnie Le Théâtre De Demain est basée à Paris.

 

Vous êtes actuellement sur les planches du Théâtre du Girasole à Avignon avec Dans la solitude des champs de coton, adaptation de la pièce de Bernard – Marie Koltès, pour vous qui est-il ?

Bernard-Marie Koltès est un auteur incontournable dans le paysage de la dramaturgie contemporaine française. Bien que décédé jeune du SIDA en 1989, il laisse derrière lui une œuvre incroyable, qui s’inscrit dans le rang des classiques. Son écriture est à la fois brutale et poétique. Elle a un rythme. Chaque mot est pesé. Chaque virgule aussi. Pour moi, Bernard-Marie Koltès est une personne qui déborde d’humanité et de poésie. C’est un être entier avec ses parts d’ombre et ses blessures comme tout le monde. Mais pour moi il parle avant tout d’amour et bien sûr de désir…

 

Qu’est qui vous a intéressé dans ce texte ?

La beauté de la langue et du propos et, pour ne rien vous cacher, le challenge que représente la mise au plateau d’un texte tel que Dans la solitude des champs de coton tant pour le metteur en scène que pour les comédiens. C’est un texte inépuisable dans lequel on vient puiser sans cesse de nouvelles choses. Il se dévoile différemment avec le temps. Il travaille en nous et grandit en nous. Et c’est la même chose avec le public. Certains spectateurs connaissent le texte presque par cœur mais l’ont redécouvert après avoir vu la mise en scène d’Alexandre Tchobanoff qui en fait ressortir toute l’humanité et la poésie. Combien de fois a-t-on entendu à l’issue d’une représentation : « C’est la première fois que j’entends vraiment le texte et que j’en comprends le sens. » Je voulais également voir comment un tel texte s’inscrirait corporellement en moi, en nous au plateau avec le travail de direction d’acteur par le metteur en scène.

 

Pour l’actrice que vous êtes, vous a-t-il été difficile de vous l’approprier ?

Je dirais oui et non. Je n’ai pas eu de difficultés majeures à apprendre le texte. La partie la plus difficile dans l’apprentissage du texte a été pour moi le premier paragraphe car j’ai dû trouver la logique de l’auteur, entrer dans son écriture et en trouver la clé. Corporellement, le personnage du Dealer m’est venu aussi assez vite car le contexte dans lequel est placé la pièce dans la mise en scène d’Alexandre Tchobanoff est extrêmement clair et concret. Il y a corporellement quelque chose de très animal et de félin dans ce Dealer. C’est un personnage qui est aussi puissant et menaçant que fragile et blessé. Le Dealer dissimule ses blessures derrière cette puissance. Un peu comme on peut le faire dans la vie dans des proportions variées. J’adore ces personnages qui ne sont pas triviaux mais qui nous font aller chercher loin.

 

Qui sont ces deux personnages de « Client » et de «Dealer » ?

Le Client est une personne qui cherche quelque chose mais ne sait pas quoi. Il vient du monde extérieure de la ville de la lumière électrique : le monde légal ! Et ce Client, par manque, ou par désir si vous préférez, entre la nuit dans cet entrepôt désaffecté qui est le territoire du Dealer. Pour chercher quoi ? Il ne le sait pas lui-même mais pour reprendre ses mots « comme l’enfant qui descend à la cave en cachette, l’attirance de l’objet minuscule pour la masse obscure, impassible qui est dans l’ombre. »

Le Dealer vient d’ailleurs. Ce lieu où il se trouve et où il vit depuis si longtemps est une terre d’accueil. Le Dealer vient d’un pays où il fait chaud. Il a pris possession de ces lieux, il y a très longtemps. Il reste là. Il guette le Client. Le Dealer désire lui aussi quelque chose qu’il ne sait pas définir. Il connaît son territoire et cette pénombre. Il est aussi puissant et menaçant que fragile et blessé.

 

On peut penser que l’un a plus de pouvoir que l’autre mais ce n’est pas aussi simple que ça ?

Effectivement. Au premier abord on pourrait croire que le Dealer a plus de pouvoir que le Client car l’action se passe à une heure de la nuit, dans la pénombre sur son territoire qu’il connaît dans les moindres recoins. Le Client lui s’aventure « en terrain étranger » et ne connait pas les règles de ce monde. Mais si le Dealer semble maitriser l’heure et le lieu il ne maîtrise pas le « mystère » et « l’étrangeté » de ce Client qui le pousse dans ses retranchements et le force « à se dévoiler tout entier ». Ainsi le Client dans cette joute verbale touche le Dealer, il le blesse. « Les souvenirs me dégoutent et les absents aussi. »  lance-t-il au Dealer qui s’est livré. Nous avons ainsi un face-à-face sous tension à l’issue incertaine.

 

À vos côtés sur scène Justine Morel, pouvez-vous nous parler de votre collaboration ?

Avec Justine Morel, nous avons beaucoup échangé sur le texte et sur ce qu’il peut contenir pour nous. Nos longues séances d’italiennes pour l’apprentissage du texte nous ont également permis de faire connaissance. Un tel texte amène forcément à l’échange, à la discussion, à la réflexion parce qu’il n’est pas trivial. Au plateau, grâce à la direction d’acteur très précise d’Alexandre Tchobanoff, nous avons pu trouver nos marques et développer ce lien entre les deux personnages. Un fil tendu en permanence entre le Dealer et le Client.

 

Bernard Marie Koltès est mort du sida, toute la pièce n’est-elle pas une conversation entre lui et la maladie ?

Personnellement, je ne la vois pas comme ça. Pour moi, elle va au-delà. C’est une pièce vivante et vibrante. Bernard-Marie Koltès savait qu’il était malade quand il a écrit « Dans la solitude des champs de coton » et sa maladie fait nécessairement partie de son écriture car inscrite en lui. Mais je ne vois pas cette pièce comme une conversation entre lui et la maladie. Cette pièce est pour moi un vaste champ de réflexion sur le désir et sur la vie. C’est un grand cri d’amour qui déborde d’humanité. À propos de la mort, je retiens cette phrase du Client : « Un homme meurt d’abord puis cherche sa mort et la rencontre, par hasard, sur le trajet hasardeux d’une lumière à une autre lumière et il dit : donc ce n’était que cela. »

 

Écrite en 1985, elle reste néanmoins très actuelle comment l’expliquez-vous ?

C’est une pièce qui, pour moi, sera toujours d’actualité car elle parle de désir. Et quoi de plus intemporel et de plus universel que le désir ? Elle traite de toutes les sortes de désirs et elle traite aussi du processus de tractation qui s’étend à toute relation humaine. Ce sont là des sujets propres à l’humanité et qui seront toujours d’actualité.

 

En vous remerciant, d’après vous, Dans la solitude des champs de coton est-elle plus dans la vie que dans la mort ou inversement ?

Pour moi, elle est plus dans la vie car elle est remplie d’humanité, de désir, de manque, du passé, des souvenirs, des rêves et surtout d’amour. Elle est donc, pour moi, tournée vers la vie.

Propos recueillis par Jean-Davy Dias