À SUIVRE
Théâtre de l’Oriflamme
Avignon.
Samedi 22 mars à 20h
La comédienne s’empare de la salle immédiatement. Le public est enjoint à se lever… et d’emblée, il se trouve assujetti à son humour… d’humeurs.
En effet, Isabeau de R. est, en continuité, dans la rupture. Le titre de son spectacle À suivre, n’est pas un temps de sablier, mais un temps sans cesse en fracture.
Elle nous inclut dans sa connivence et nous adhérons sans résistance à l’évidence. Nous sommes tous tentés peu ou prou par une petite ligne d’expressions de purs réactionnaires tant l’évolution de la société, totalement inscrite dans le consumérisme et les nécessités de productivité, nous relègue au rang de vieux ringards. Has been, nous sommes spectateurs de nos inconséquences qu’elle stigmatise dans une ronde où les bases sont inexistantes car elles se trouvent dans un futur inconnu et non prévisible ! La boussole est détraquée !
Par mimétisme à ce temps qui nous met en errance de nos êtres, elle affiche une incroyable capacité à nous faire lire sur ses traits la labilité thymique obligée de ses humeurs. Et là, c’est puissamment fort. C’est aussi puissamment vrai comme l’est également l’abdication à l’éducation de cette mère qui s’autorise avec beaucoup de crainte de négocier la permission de mettre au lit son tout jeune enfant.
Comment ne pas être en adéquation avec ce que son humour/ humeurs brosse et imite avec brio ?
La mèche de Sagan, les roucoulements de Fanny Ardant et les rictus incontrôlables d’Ardisson, sont autant d’exemples par lesquels elle illustre cette incroyable course d’une évolution sociale qui nous dépasse et nous place, sans nul doute, sous de singulières et ridicules emprises… addictives.
Nos tares professionnelles sont stigmatisées, réduites aux clichés, nos usages et nos structures sont pulvérisés au laser et il n’est pas jusqu’au genre qui, dégenré, nous disjoncte tous.
Ses familles recomposées franchement décomposées autour de la table – qui en principe réunit mais qui finalement ne parvient pas à inclure les enfants à leur place centrale et les satellise là où ils pourront éventuellement se poser ou pas, sont croquées avec une véracité telle que le sourire à la Desproges est plus sollicité que le rire tonitruant et massif… parfois franchement inélégant et importun d’un voisin de siège électrifié par les soubresauts de son hilarité, un comble dans un spectacle d’humour !
En effet, les suggestions en prolongement de ses associations de mots, distillées en intraveineuse nous placent un cathéter de sourire.
Les pitreries sont dépassées par la plasticité imitée des pathologies toutes liées à l’impossibilité du contrôle et de facto à nos comportements subis. Son incroyable aptitude à dénoncer la facticité des affects remplaçant les échanges authentiques nous renvoie à nos inconséquences voire nos échecs.
L’humeur expansive du professeur, son irritabilité qui imite elle-même pitoyablement ses élèves dans leurs débordements ou borborygmes… dans l’espoir vain que la conformité lui permettra d’être accepté, est un morceau de bravoure.
Le jargon des nouvelles technologies n’est pas épargné et tout se passe comme si, ce qui devrait conférer à l’expression, la justesse des termes et partant, la formulation la plus adaptée et la plus appropriée pour exprimer la pensée, se perdait dans une vacuité délétère… rendant caduque toute velléité de communication.
Alors oui, Isabeau de R. mérite, au-delà des rires de conformité, nos larges sourires de partage et de connivences. Son écriture toute empreinte de recherche, son jeu quand il suggère… percute avec vivacité nos aptitudes à adhérer à l’humour lorsqu’il nous malmène dans sa rapidité pour nous tournebouler. Un seul bémol… ou mieux, un souhait, qu’elle ne se laisse pas happer par l’adhésion de ceux-là mêmes qu’elle croque. À ratisser large son jardin, on laisse traîner les gros cailloux dans la terre fine. Mais bon, ça draine le terrain et c’est toujours du substrat pour les plantes.
Néanmoins, elle saura, à n’en pas douter, remplir la salle comme hier au Festival d’Avignon 2024.
Nadine Eid
À suivre
de et par Isabeau de R.
Mis en ligne le 23 mars 2024
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