NOCE

THÉÂTRE DU ROI RENÉ

4 bis, rue grivolas
84000 - Avignon

à 19h45

 

Noce loupe 

Chronique de Bruno Fougniès

 

Une belle allégorie d’une société clivée par l’argent. Jean-Luc Lagarce prend le prétexte d’un mariage fastueux pour tenter de mettre à jour le mur invisible mais infranchissable dressé entre pauvres et riches. C’est en cela que son propos est actuel. Murs et inégalités de fortunes de plus en plus grandes sont à la Une de nos journaux. Et avec Noces, il nous tend un miroir corrosif qui utilise l’humour et la frénésie comme acide pour déclencher les rires, et peindre un tableau haut en couleurs de cinq personnages en quête d’une place au buffet de la fête.

Cinq personnages qui déboulent de tous les horizons pour assister à cette Noce annoncée dans toute la région et à laquelle sont conviés tous les gens importants, les gens biens, les gens qui comptent, les amis de cette famille hautement notable qui fait sonner le tambour et briller l’argenterie pour que ce jour reste dans les annales comme « la Noce » dont on reparlera encore dans dix ans, la noce où il fallait être invité. Seulement, ces cinq-là ne le sont pas. Et nous allons assister aux épopées d’abord individuelles pour entrer dans l’enceinte gardée de la fête, puis à l’épopée collective de ce groupe d’exclus pour trouver une place méritée dans ce buffet gigantesque, puis pour se rebeller et forger un embryon de révolte, de révolution, de soulèvement populaire.

Pierre Notte entre de plein pied dans le côté farce de la pièce. Et du début jusqu’à la fin, c’est effectivement à une course éperdue, une lutte haletante, un déchaînement de plus en plus expansif des personnages auxquels nous allons assister. Un rythme soutenu, qui accélère sans cesse et donne toute la mesure de cette course folle qui devient de plus en plus absurde, démesurée, drolatique. Et même si la part d’ombre qui sous-tend le texte de Jean-Luc Lagarce n’apparaît pas au premier plan, la critique sociale reste présente lors de cette accumulations d’épreuves que les cinq héros populaires affrontent, tels des aventuriers sortis du cinéma américain, pour obtenir ne serait-ce qu’une entrée… quoi… une feuille de salade avec un morceau de foie gras et un verre de vin… pas plus…  car tel est l’enjeu que de pouvoir dire plus tard : j’y étais à la Noce, et raconter.

Les comédiens de cette course où le théâtre dans le théâtre est clairement appuyé, ont construits des personnages très ciselés, reconnaissables, aux caractères tranchés. C’est sur leurs potentiels que la mise en scène s’appuie principalement même si les lumières jouent un rôle important dans un décor qui se satisfait d’accessoires. Les comédiens sont ici dans l’esquisse nette, comme des costumes, des enveloppes extérieures que l’on manipule de l’intérieur.

Ainsi les répliques longues ou courtes fusent et sont nourries de variations qui font parfois penser à des partitions musicales avec un rythme à respecter et des ruptures dynamiques.

Ainsi cette fantaisie bouffe resplendit de mille rebondissements et de déluge de mots qui mènent directement de la raison à la folie jubilatoire.

 

 

Chronique de Jean-Michel Gautier

 

Noce, une plongée dans le monde des exclus

Une pièce au tonus exceptionnel

 

Ils sont cinq, bien déterminés, un homme, un monsieur, une dame, une femme et une jeune fille à aller à une grande noce. Cinq identités disparates, cinq paumés. Ils n 'ont pas été invités mais pourquoi n'auraient ils pas le droit d'aller à le fête ? Ils vont braver tous les interdits, franchir tous les barrages pour en être, pour atteindre leur part de bonheur espéré.

C'est la saga des laissés pour compte, le portrait des clandestins repoussés, l'image de tous ces réfugiés…

Mais ils vont être envoyés au fin fond des tables du mariage, bien loin des mariés. Loin de tout, loin des plats, de la reconnaissance, davantage : de la connaissance.

Ils ne sont que cinq mais avancent comme une armée, ils font face au mépris, à l'ignorance, à la méchanceté. Ils font face pour sauver leur honneur, leur raison d'être, pour rester vivants.

À ce moment là, un changement s'opère, il ne s'agit plus de participer à la noce, il faut montrer qu'on existe, qu'on n'est pas transparents.

Ils vont alors tout dévaster, le pillage va commencer, le saccage va aller à son maximum.

C'est un jeu de massacre organisé, une trombe d'eau sous les tropiques, un raz de marée en Indonésie, c'et dévastateur et libératoire. Avec une mélodie chantée par Nicole Croisille qui revient tout au long de la pièce de façon récurrente, comme une soupape, une respiration.

La Compagnie de la Porte au Trèfle déploie une énergie un peu folle  pour nous faire vivre ce moment jubilatoire. Ils sont magnifiques dans leur rôle, à la lisière d'un jeu dangereux. Nous ne pouvons que nous ranger du côté des exclus, les autres sont si loin, si absents et eux si présents, en souffrance. Et eux nous attirent dans leur quête, nous font vibrer dans leur folie dévastatrice.

La mise en scène de Pierre Notte est incisive, centrée sur ces personnages, leur donnant le maximum de lisibilité.

 

Noce

de Jean Luc Lagarce
mise en scène Pierre Notte

Avec Amandine Sroussi, Ève Herszfeld, Paola Valentin, Bertand Degrémont, Grégory Barco

Lumières Aron Olah

 

Version imprimable

 

Mis en ligne le 25 juillet 2017