L’APPRENTI
Le Petit Louvre
23 rue Saint-Agricol
84000 Avignon
Tél : 04 32 76 02 79
Du 4 au 26 juillet à 14h00
Julien, un garçon d’une douzaine d’année se choisit un père. Il n’en manque pas pourtant de père. Le sien est présent. Mais, occupé la plupart du temps par son travail, il n’est pas vraiment là. C’est la raison pour laquelle l’enfant va observer les adultes autour de lui. Longtemps. Surtout ceux qui viennent régulièrement dans le café en face de son appartement. Il les observe, ces hommes seuls, ces pères potentiels, à l’aide de jumelles. D’ailleurs, Julien semble observer le monde entier à l’abri de ses jumelles. Et puis un jour, il choisit Pascal, un homme solitaire d’une bonne quarantaine d’années. Et il traverse la rue jusqu’au café pour faire connaissance.
Nous allons suivre pendant une année les liens qui se tissent entre ces deux étrangers. Ce sont des pages qu’on tourne, mois après mois, une histoire qui défile comme un inéluctable destin, comme si les choses devaient s’écrire et pourtant l’action de cette pièce, distillée comme un air doux et régulier, est tout sauf anodine ou banale : c’est presque un cas d’école qu’il faut dénouer avec délicatesse, une hypothèse sous forme de retournement, sorte de conte moderne qui se déroule à cheval entre réalisme et imaginaire.
Le texte de Daniel Keene est construit en courtes scènes durant lesquelles l’homme et l’enfant s’apprivoisent, se découvrent et s’attachent. Des scènes du quotidien, simples, presque banales mais qui sont stylisées, qui sont prétextes à ressentir la lente et subtile avancée des liens qui s’établissent.
Une scénographie intelligente et fluide permet de passer d’une scénette à l’autre, d’un lieu à l’autre sans heurt : les animations de Nathalie Arnau, projetées sur un écran de fond, les déformations progressives de ses dessins, nous font passer d’un décor à l’autre en douceur, le tout sur une bande son qui elle aussi permet de glisser d’un décor à l’autre et renforce le côté intime de ce spectacle.
Florent Houdu crée un Julien d’une incroyable justesse. Il évoque totalement un jeune garçon : empli de la candeur, du sérieux et de l’obstination dont seuls les enfants sont capables. Jean-Marc Talbot incarne un Pascal, célibataire renfrogné, sans enfants, rétif à l’étrange décision de cet enfant. On le voit peu à peu redécouvrir l’innocence, le partage et l’esprit de l’enfance. Ces deux comédiens illustrent à merveille, dans leurs deux manières différentes d’aborder leurs rôles, deux univers étrangers qui finissent par se compléter, s’enrichir l’un l’autre, apporter du sens à leurs deux existences.
La valeur de cette pièce et sa particularité tient également à l’absence presque totale de personnages féminins – une seule évocation revient deux fois lors du spectacle. Il s’agit bien pour Daniel Keene de tenter de cerner la filiation et la paternité comme sentiments intimes, réels, sans venir en comparaison ni en compensation d’un sens maternel. L’étude de ce lien précis de père à fils et de fils à père permet pour une fois d’évoquer l’incidence de l’enfant sur l’adulte et d’apprécier ce soudain retour vers l’enfance, la naïveté, le sens du moment chez l’homme mûr.
Ici, l’évolution se fait plus sentir du côté du père de substitution que du fils. Le premier finit par lâcher prise et trouver en lui-même le rire naïf qu’il avait sans doute enfoui dans sa mémoire. Par courts moments, ce sont deux gamins oublieux du monde qui sont là (surtout dans la scène très drôle qui se déroule au cinéma).
Yann Dacosta fournit dans cette pièce une mise en scène légère, fluide, qui désamorce les moments de réalisme pour leur donner une distance nécessaire et sous-tend chaque réplique d’un monde de pensées, de sens et d’une possible harmonie entre humains.
Bruno Fougniès
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L’apprenti
Texte de Daniel Keene traduit par Séverine Magois (Editions Théâtrales Jeunesse)
Mise en Scène Yann Dacosta
Scénographie / Illustration Nathalie Arnau
Créateur lumières Marc Leroy
Avec Florent Houdu et Jean-Marc Talbot
Mis en ligne le 31 mai 2015