POUR UN OUI POUR UN NON
Espace Roseau
8, rue Pétramale
84000 Avignon
04 90 25 96 05
16h30
Comme souvent chez Nathalie Sarraute, le point de départ est infime, dérisoire : il s'agit juste d'une façon de traîner sur un mot et d'une pause avant de finir la phrase. D'où cette brouille entre deux amis. L'explication tarde à venir. Nous sommes dans le domaine du non-dit, justement : « Ce n'est rien qu'on puisse dire ! » répète un des personnages, celui qui souffre. Pressé de questions, il finit par lâcher que oui, il s'est cru incompris, méprisé, il lui a semblé que l'autre, mine de rien, le renvoyait dans la médiocrité de sa petite vie.
Bien sûr, vu comme ça, on se demande à quoi va ressembler une telle pièce : eh bien, c'est une épopée. Une cavalcade minuscule (et éperdue) autour de ce qui fait l'essentiel des êtres, leur langage qui, chacun le sait, est toujours révélateur de mille et une autres choses habituellement tues. L'art de l'auteur consiste, précisément et assez vite, à mettre l'accent sur les mots, sur les silences des deux personnages, au point que nous nous retrouvons, comme eux, attentifs à chaque nuance. Il aura suffi de ce « C'est bien, … ça ! » qui met le feu aux poudres, pour que nous traquions, à notre tour, tout ce qui pourrait trahir des différences d'approche, une opposition de deux philosophies.
Nous voici au cœur du problème : après avoir tergiversé et manqué, à plusieurs reprises de se brouiller à mort, les deux personnages prennent peu à peu conscience que l'un est yin, l'autre yang, que la velléité de l'un s'oppose à l'énergie de l'autre. « Autour de toi, assène l'un à son ami, tout est inconsistant ! » Ils sont, en fait, les deux faces d'une même médaille.
Jean-Marie Russo qui interprète l'homme 1 assure également une mise en scène virevoltante où le jeu des comédiens prime mettant en valeur le texte de Nathalie Sarraute . Belle trouvaille que d'y avoir joint un trombone à coulisses, qui surgit parfois comme une ponctuation. Paddy Sherlock offre une composition éblouissante à laquelle son charmant accent irlandais ajoute une dimension supplémentaire.
Pantalon et tee-shirt noirs pour costumes, ils évoluent dans un décor astucieux de Catherine Nadal où des cubes rouges et blancs s'emboîtent ou se déconstruisent soulignant l' importance donnée à la place de chacun, leur permettant de se trouver en position dominante à tour de rôle.
Les éclairages d'Alexandre Boghossian jouent avec les ombres, dessinant parfois avec netteté les deux protagonistes. Dans la dernière scène,, on a vraiment l'impression d'un « gros plan » théâtral, bel effet.
Au final, un spectacle sur le fil, lourd de questions et qui touche autant l'intelligence que la sensibilité. La vie, quoi.
Gérard Noel et Nicole Bourbon
Pour un oui pour un non
Nathalie Sarraute
Avec Jean-Marie Russo, Paddy Sherlock
Mise en scène : Jean-Marie Russo
Scénographie : Catherine Nadal
Création lumière : Alexandre Boghossian
Régie : Tristan Hocquemiller