Tout le monde connaît l'Affaire Dreyfus, monstrueuse infamie judiciaire qui déchira la France à la fin du 19ème siècle.

Par contre, nous ignorons comment l'homme Dreyfus vécut de l'intérieur, d'abord l'ignominieuse accusation de trahison puis la condamnation au bagne précédée de la dégradation publique du capitaine de l'armée française.

Comprendre comment cet homme, innocenté bien des années plus tard, a pu survivre et résister à tant de souffrances, de privations, d'humiliations imméritées tel est le propos de ce spectacle.

Pour ce faire, l'adaptation de Joël Abadie s’appuie sur les témoignages directs de l'intéressé : le journal qu'il tint à l'île du Diable, ses mémoires et surtout la correspondance qu'il entretint avec sa femme Lucie.

Au travers de cette relation épistolaire, émerge la figure d'un être exceptionnel qui ne cessa de clamer son innocence « au nom de la justice et de la dignité qu'on doit à tout être humain ». Aucune expression de haine ou de vengeance contre la France et les français. Son amour de la patrie reste intact.

Cette attitude est d'autant plus admirable qu'il n'a pas, lui, la perspective historique de son Affaire et n'en connaît donc pas l'issue. Isolé au milieu de l'enfer il reste debout, humain, humaniste.

Le rôle de son épouse, dont les lettres sont lues en voix off durant le spectacle, est fondamental pour l'équilibre du détenu.

Lucie est son seul lien avec le monde extérieur, son unique soutien affectif, sa seule source d'informations bien que, par crainte de la censure elle ne puisse lui révéler aucun détail des polémiques politiques qui divisent la Nation.

Du fond de sa désolation Dreyfus n'est habité que par l'espoir farouche de faire reconnaître son innocence, retrouver son honneur, protéger sa famille contre l'infamie.

Il ignore que ses accusateurs l'accablent et le vilipendent uniquement par antisémitisme. Il ne connaîtra le combat acharné de ses défenseurs dont Zola a pris la tête avec « J'accuse », qu'après sa libération lorsque vérité et justice auront triomphé.

Avec une paillasse, une table, une chaise, l'espace scénique évoque une cellule de bagne dans laquelle le public entre et partage, le temps d'un spectacle, le calvaire d'Alfred Dreyfus magistralement interprété par Joël Abadie.

Son jeu bouleversant donne chair et âme aux méandres intérieurs du prisonnier.

La mise en scène de Maryvonne Coutrot souligne avec pudeur le contraste saisissant entre la brutalité du cachot et la grandeur d'âme du personnage.

En marge de la vie du bagne, le spectateur peut suivre l'évolution de l'Affaire retracée par des commentaires journalistiques. Elle est illustrée par des projections : images d'archives, photos, dessins, unes des journaux, séquences de films tournées par Georges Mélies.

Une vision singulière qui détourne le spectateur des chemins officiels de l'Histoire.

 

Nadia Baji

 

 

Dreyfus l’amour pour résister

Compagnie de la Traversée
Auteur : Vincent Duclert

Avec : Joël Abadie

Mise en scène : Maryvonne Coutrot