CET AIR INFINI
Théâtre de l’Épée de Bois
Cartoucherie, Route du champ de Manœuvre
75012 Paris
Du 13 au 30 mars 2025
Photo © Christophe Raynaud de Lage
Sur scène, une femme en robe blanche tachée de sang, lunettes de soleil sur le nez, est assise, tandis qu’un homme vêtu de noir, capuche rabattue, se tient debout dos au public.
Ces deux personnages, incarnés par Marie Micla et Jean-Noël Dahan, se livrent d’abord à une série de monologues, évoquant des flux de conscience intimes et tourmentés. Peu à peu, les lunettes noires et la capuche tombent, révélant des regards qui s’accrochent, et se détournent, des gestes qui hésitent. La trame dévoile progressivement l’histoire de cet homme, migrant et ingénieur topographe, ayant bravé la Méditerranée pour trouver du travail dans une ville moderne et anonyme, où son quotidien est marqué par les édifices qui se construisent et se détruisent sans cesse. L’espace scénique vide participe à ce sentiment de déracinement et de solitude.
La note d’intention éclaire cette œuvre de la dramaturge catalane Lluïsa Cunillé (Prix national de littérature dramatique, Espagne, 2010) en invitant à la comprendre via le prisme de la mythologie : l’homme incarne Ulysse, tandis que la femme est multiple et sera tour à tour Électre, Phèdre, Médée et Antigone. Cette indication enrichit la compréhension du spectateur face à la personnalité changeante et troublante du personnage féminin. Marie Micla livre ici une performance fascinante, marquée par une pulsion de mort et un jeu inquiétant. Elle est Phèdre qui évoque la haine envers sa mère, Électre éprise d’Ulysse, Médée qui a tué ses enfants et Antigone qui protège son frère corps et âme. En contrepoint, Ulysse, qui évoque son désir de retrouver son pays, sa femme et son fils, se trouve davantage du côté de la vie : le jeu de Jean-Noël Dahan en fait un personnage résilient. Ce contraste entre les deux personnages nourrit la tension dramatique de la pièce, et les regards, les silences et les mouvements viennent renforcer le va-et-vient entre rapprochement et isolement.
La mise en scène, sobre, laisse une place prépondérante au texte traduit par Laurent Gallardo. Si la langue est faite de mots simples, le message est complexe, et l’expérience de l’entendre et de le comprendre est éprouvante pour le spectateur. C’est sans doute parce qu’il dénonce la vacuité contemporaine et l’inconsistance du réel.
Cet air infini souligne la force intemporelle des mythes tout en révélant la vulnérabilité d’une humanité en perpétuelle quête de sens.
Ivanne Galant
Cet air infini
Texte : Lluïsa Cunillé
Traduction : Laurent Gallardo
Mise en scène : Jean-Noël Dahan
Avec Marie Micla et Jean-Noël Dahan
Création lumières : Marc Delamézières
Création sonore : Jean-Marc Istria
Production : Éclats Rémanence et Les Rugissants
Mis en ligne le 24 février 2025
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