CÉLIMÈNE ET LE CARDINAL
Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs
75006 Paris
Jusqu’au 7 décembre
du mercredi au samedi à 21h
Dimanche 18h.
Photo © Emmanuel FRADIN
La revanche libérée… d’amours contrariées !
Quelle judicieuse idée a eu Jacques Rampal de créer le 14 janvier 1992 une suite jubilatoire au Misanthrope de Molière (1666), écrite en alexandrins brillants, dont ses deux protagonistes, Alceste et Célimène, se retrouvent vingt ans après…
«Trahi de toutes parts, accablé d’injustices,
Je vais sortir d’un gouffre où triomphent les vices,
Et chercher sur la terre un endroit écarté
Où d’être homme d'honneur on ait la liberté ».
Désabusé du mensonge des hommes et de l’infidélité féminine, on redécouvre donc notre Alceste, mystique proche de Dieu, révulsé par l’inanité des vanités terrestres, devenu un puissant cardinal… Quant à l’inconstante Célimène, elle est mariée à un bourgeois et semble une mère épanouie de quatre enfants…
C’est le cardinal qui a pris l’initiative de ces retrouvailles, hanté par un rêve terrifiant selon lequel son ancien amour court un danger mortel :
« Et voilà tout à coup que je ne suis plus sûr
D’être venu la voir dans un dessein très pur ». Doute auquel répond celui de Célimène qui espère que ses rêves les plus fous :
« Ne viennent pas troubler le surprenant retour
D’un homme qui m’aimait et que j’aimais d’amour ».
Et là nous assistons ravis et enchantés à une malicieuse et croustillante joute verbale à fleurets mouchetés ! Mais pas que… Dans un décor, suave cocon moelleux où tout est rouge et volupté, le sofa de la belle, les jouets des enfants, le pourpre de la sensualité, le carmin des désirs, on sent que rode le péché pas loin de l’écarlate ! Nous y voilà : le cardinal vient et veut confesser en direct Célimène pour sauver son âme. Tout d’abord, il découvre, choqué, un recueil de dessins de Célimène nue ; Que nenni ! – réalisés par son mari –… Puis elle parle avec tendresse de ses enfants chéris, dont un des garçons adorés ressemble, trait pour trait, au meilleur ami de la famille ; à l’interrogation sidérée d’Alceste qui s’inquiète de la réaction du mari, la maman sereine et amusée rétorque qu’il s’en réjouit tant cet habitué est beau et intelligent… Mais le badinage a ses limites et il faut passer aux choses sérieuses ! Le cardinal avec coercition oblige sa dulcinée à se mettre à genoux pour avouer ses péchés, en jurant sur un missel, la tête au niveau de la soutane « en regardant pas n’importe où, pas n’importe où » comme dit Ferré dans sa chanson… Elle se relève et ses lèvres, au niveau de son cou, murmurent d’émouvants aveux d’un amour couvant sous la cendre :
— Quand nous reverrons-nous ? »
Alceste : — Et pourquoi pas chez moi ? Rasséréné, il s’en va, oubliant son chapeau puis, venant le récupérer.
— M’aimez-vous ?
— Je ne vous hais point .
— Il est temps de se taire . Ce chapeau vous attend et moi je vous espère ».
Un exquis moment théâtral qu’il ne faut surtout pas attendre d’aller applaudir dans l’espoir de se régaler d’un texte savoureux servi par deux interprètes épatants qui fonctionnent à merveille, aussi convaincants dans l’humour que dans l’émotion ! La certitude de passer une soirée absolument délicieuse, rafraichissante et ludique pour les esprits épris de liberté…
Anne Revanne
Célimène et le Cardinal
De Jacques Rampal
Mise en scène Frédérique Lazarini
Avec Amélie Gonin et Robert Plagnol
Scénographie Brigitte Veyne
Costumes Nathalie Prats
Lumières Didier Brun
Musique Thomas Briant
Mis en ligne le 12 octobre 2025
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