BROKEN

 

Théâtre La Reine Blanche
2 bis Passage Ruelle
75018 Paris
01 40 05 06 96

Jusqu’au 2 février,
du mercredi au dimanche à 19h

 

Broken loupePhoto  © Tristan Jeanne-Vale

 

Le 13 mars 2014, au théâtre la Madeleine à Troye, se joue « Les Tentations d’Aliocha », d’après « Les Frères Karamazov » de Dostoïevski, mais ce soir-là, le spectacle n’ira pas à son terme. Il sera interrompu au moment de la danse de Grouchenka, la grande figure féminine libre et sans barrières du roman. Une danse de fête, d’ivresse, de désir qui se déroule sur la scène au milieu des bouteilles vides. Une danse comme le vol d’un oiseau battant vainement des ailes pour s’envoler dans l’air pur, qui s’abat au sol et y reste.

Ce soir-là, la vie de Véronique Dahuron qui incarne Grouchenka bascule, tandis qu’on ferme le rideau et qu’on la transporte à l’hôpital où malgré l’intervention, elle perdra un œil. Il s’agit d’un instant fugace, d’un dixième de seconde ou de quelques centimètres… elle aurait fini sa danse comme lors de toutes les répétitions, sans un dommage, et la pièce aurait pu se poursuivre normalement, et sa vie également.

Broken cherche à renouer quelque chose qui s’est interrompu brutalement. Cette suspension du temps causé par cet accident qui a laissé le spectacle en apnée, comme au-dessus d’un vide, est le centre de gravité de cette performance en forme interrogative, en forme de renaissance. La nécessité de renouer ce fil brisé pour pouvoir renaître parcourt tout le texte de Broken.

Nécessité lui donne toute sa force. Mais une autre qualité offre à ce spectacle une valeur exceptionnelle. Véronique Dahuron et ses quatre partenaires ne tombent à aucun moment dans la facilité du cri, ni de l’exhibition, ni de de la banale exposition du crame, du vécu. Ils créent à eux cinq un moment fait de différentes expressions qui s’imbriquent, se parlent et s’éclairent entre elles : la musique, le chant, la poésie, les images, la peinture, les corps et les danses à la fois violentes et retenues.

Le dispositif scénique est pourtant très sommaire, déjà vu des dizaines de dizaines de fois dans des spectacles qui prônent le réalisme et l'expression directe, et la mise en lumière de la fabrication avec un plateau partagé entre comédiens, chanteur, danseur, musicien, régisseur. Et puis des projections vidéo. Et l'alternance de textes dits de vive voix ou via un micro filaire. Mais la mise en scène de Guy Delamotte ainsi que le texte, qui ressemble à un collage poétique, mémoire et visions, font exploser ce dispositif et le transforment en une véritable machine à émotion, à intensité, car Broken ne se contente d'exprimer la réalité de la souffrance du handicap, de la perte de la vue, de cet effroi, il la transcende en brandissant l'art quel qu'il soit comme l'étendard d'une guerre contre l'indifférence, et le regard des autres.

En plus de cette belle conception, il faut saluer les interprètes, tous exceptionnels dans leurs arts et dans l'humanité qu'ils dégagent pour réaliser ce beau moment où la vie et l'expression artistique deviennent sœurs de sang.

Bruno Fougniès

 

Broken

Conception et co-mise en scène Guy DELAMOTTE et Véro DAHURON  

 Avec Véro DAHURON, Antek KLEMM, Jean-Noël FRANÇOISE (musique), Fabrice FONTAL (lumières/percussions), Laurent ROJOL (vidéo)

Création Le Panta Théâtre