A STRING SECTION

Teatro a Corte (7 au 17 juillet 2016)
Turin - Italie

Vu le 16 juillet 2016 au Château de Racconigi

 

loupe Crédit photo © Domenico Conte

Lorsqu’un spectacle réussit à réunir l’absurde, la sensualité, le trouble, le rire, l’insolence et l’esprit de gratuité, il faut aller le voir. A String Section combine tout cela. Un spectacle comme une suspension du temps, hors du temps, détaché de toutes les réalités contemporaines, de la dictature de l’actualité, des contingences terrestres et pourtant, un spectacle qui ne fait que parler de tout ce qui nous occupe, par provocation.

Que se passe-t-il lors de cette performance ? Quels mots sont dits ? Quelles images sont-elles exposées ?

En fait, il n’est échangé aucun mot, les images sont pour la plupart aléatoire et il ne se passe presque rien sinon un sciage lancinant, périlleux, insensé.

Sur scène – mais dans la configuration du château de Racconigi, devant la façade intérieure majestueuse du bâtiment – sur le devant de cette architecture préservée donc, six chaises en bois sont installées. Toutes différentes les unes des autres. De belle facture. Bois tournés, vernis profonds, dossiers matelassés. De belles chaises.

Entre alors six jeunes filles en robes noires. Toutes robes noires, toutes jeunes filles différentes les unes des autres. Élégantes, racées, chaussées d’escarpins aux talons hauts. Cheveux relevés sur la nuque. Ou cheveux libres tombant sur les épaules nues. Ou pas. Elles entrent venant du ventre du château, démarche chaloupées des belles jeunes femmes du soir. Maquillées, sourire aux lèvres et scie égoïne à la main.

Elles semblent les instrumentistes d’un sextet de musique classique, mais leurs instruments sont ces scies de taille moyenne. Elles sourient aux spectateurs, les scrutent, puis vont s’asseoir chacune sur une des chaises et prennent une pause à la fois détendue et décontractée. L’une croise ses jambes avec grâce, l’autre alanguit son bras sur le dossier de sa chaise, une autre encore, légèrement tournée de côté, laisse admirer comme par mégarde la courbe gracile de son cou, de sa clavicule.

Sourires. Temps.

Et puis, durant quarante minutes, ces graciles représentantes de la plus sensible féminité vont s’acharner à scier les chaises sur lesquelles elles sont assises, puis à califourchon, puis couchées, puis les membres emmêlés aux montants. Alternant frénésie maniaques, crises de folie destructrice, acharnements insensés, ou doux va-et-vient de la lame qui semble plus caresser le bois que l’entamer, certaines vont aller jusqu’à réduire leurs sièges à un empilement de bouts de bois, d’autres ne seront toujours juchées sur le déséquilibre précaire de ces meubles amputés.

Et soudain, toutes arrêtent. Qu’elles soient jetées sur le ventre ou perchées en haut d’un dossier branlant, elles cessent d’un coup leurs activités destructrice et retrouvent le port de tête soigné, le regard hautain, la classe naturelle.

C’est ainsi, dans ce contraste vivifiant entre destruction absurde et beauté divine et insolente que cette performance déclenche rires, ahurissement, irritation pour certain trop attachés à la raison. Car la moindre parcelle de ce moment est un pamphlet cinglant à cette toute puissante raison qui mène si absurdement ce monde : l’ode à l’insolence.

Cette « folie » allant jusqu’à décider de la fin de ce show lorsque les quarante minutes, qu’une horloge face aux six interprètes décompte, finit. Tel un gong muet qui met fin à la comédie.

Bruno Fougniès

 

A String Section

Concept : Leen Dewilde pour Reckless Sleepers.

 

Mis en ligne le 21 juillet 2016