TEATRO A CORTE 2014 – SILENCE ENCOMBRANT

Festival européen dans les demeures royales du Piémont

Du 17 Juillet au 3 Août tous les vendredis, samedis et dimanche

Castello Rivoli
Le 27 juillet

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Une benne à gravats qui s'ouvre et dégueule en cascade son contenu. Gris, poussiéreux, brisés, valdinguent sur le bitume des bouts de tubes, des meubles détériorés, des machines au rebus, des enchevêtrements de fils de fer, de cintres, des machines, des chaises tordues, du fer, du zinc, du plomb, des chiottes, de la vaisselle fissurée, des portes et des fenêtres, tous ces objets du modernisme qui retournent à la matière dès que leur usage devient obsolète, dès que la mode les pousse à la décharge, les irréparables.

Ça commence comme ça. Et puis parmi ces vingt mètres cubes de bric et de broc, apparaissent des silhouettes, des êtres, des humains, eux aussi couverts de gris, fissurés, tordus, marchant comme des robots brisés, s'extirpant des décombres avec peine et arrachant ensuite les décombres de la benne pour les disperser tout autour dans une sorte de ballet ralenti.

Aucun texte, mais une sorte de symphonie lente, sonore, née de la chute et du raclement des objets sur le sol. Rythmé, dé rythmé, presque accidentel, mais qui donne une seconde vie à ces objets rendus aux qualités de leur matière : des disques de meuleuses qui sonnent comme des cloches, des cercles de fer géant qui s'enroulent au sol en sons graves, cuivrés, une rythmique de boîtes de conserve… comme un écho de la vie qui reste encore enfermée en eux.

Encombrant : ces êtres moitié matière, moitié agonisant, sorte de fantômes sans désir qui déploient les rebuts sur tout l'espace et repoussent les spectateurs de plus en plus loin.

La fin donne un semblant d'espoir : les êtres irréparables se dépouillent de leurs nippes et avancent avec ensemble jusqu'à fendre la foule, s'éloignant des gravats qu'ils ont disséminé, d'une nudité sur-apparente, ils regardent soudain avec ensemble au lointain. Comme une destination possible commune, comme l'attente de quelque chose qui viendra les rendre à l'humanité.

Peut-être une sorte de recommencement dans l'état de nature. Un état de nature tragiquement abîmé.

La compagnie Kumulus présente avec ce spectacle une sorte d'apocalypse, un monde post-atomique couvert de cendres où les rescapés ne savent plus l'usage des objets du quotidien. Ils les inspectent un à un pour les laisser choir à leurs pieds. On les sent parfois traversés par le souvenir de l'utilité d'une de ces choses, mais il finit toujours par manquer un élément : et l'assiette faute de trouver la table à sa place tombe et se fracasse au sol.

Pourtant, rien de futuriste ici : il s'agit d'aujourd'hui, de notre monde actuel, de ce monde qui met au rebut objets et humains. Sont-ils bons à jeter ? Ou bien n'est-il pas rentable de réparer ou de trouver une place pour ces objets humains irréparables ?

De ce ballet mis au ralenti par une volonté farouche de créer une brèche dans la sur-agitation du monde moderne, on ressort un peu groggy et vaguement effrayé, mais réellement impressionné par le travail de conception et de réalisation de la compagnie Kumulus qui impose par la rigueur du jeu la  fascination de tous les spectateurs. Et lorsque le lendemain, ou quelques jours plus tard, on croise sur notre route une benne à gravats, un léger frisson d'angoisse nous zèbre le dos à l'idée de ce qui pourrait en surgir.

Bruno Fougniès

 

 

Silence encombrant

de Barthélemy Bompard
Mise en scène Barthélemy Bompard
Assisté de : Nicolas Quilliard

inventé et interprété par Dominique Bettenfeld, Barthélemy Bompard, Jean-Pierre Charron, Céline Damiron, Marie-Pascale Grenier, Dominique Moysan, Nicolas Quilliard, Judith Thiébaut

Travail corporel : Judith Thiébaut
Travail sonore : Jean-Pierre Charron
Création des costumes : Marie-Cécile Winling et Catherine Sardi
Conception et construction des décors : Dominique Moysan
Technique : Simon Bilinski et Djamel Djerboua
Maquillage : Sophie Ghizzo

 

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