YOURI

Au théâtre Hébertot,
78bis Bd des Batignolles
75017 PARIS
Du mardi au samedi à 21H00 et samedi à 17H30

 

Le théâtre Hébertot semble se faire une spécialité des pièces bizarres, celles où le quotidien dérape, où des personnages se trouvent confrontés à un absurde, plus ou moins inquiétant : Après « Cochon d'Inde » où le client d'une banque craquait et « Toutou » où la disparition d'un chien menaçait la survie d'un couple, voici « Youri ». Ici, une femme en mal d'enfant ramène du centre Leclerc un grand ado mutique que, d'autorité, elle prénomme Youri. Après quelques scènes où éclatent l'incompréhension puis la colère du père, le spectateur se cale dans son fauteuil et se dit : « Bon. Et maintenant ? » Il pourrait, ce spectateur, faire confiance à Fabrice Melquiot pour renouveler le genre de la « comédie kafkaïenne » justement, et nous entraîner là où nous ne voudrions pas aller. Cela va de la rage du père fortement teintée de xénophobie, mais qui vire à l'attendrissement en passant par la sensiblerie de la mère dont la relation avec Youri va évoluer vers autre chose, dirons-nous.

C'est le chaos qui envahit peu à peu ce couple en attente d'enfant. La flemmardise des spermatozoïdes du père va justifier qu'ils gardent Youri et celui-ci, bien sûr, se fait un plaisir d'en profiter. D'en abuser, même. Il faut le voir prendre ses aises, inquiéter à force de fixité, s'épanouir pour un rien et occuper l'espace comme un jeune animal qu'il est. Dans ce rôle, Jacques de Candé est prodigieux : il ne prononce, et pour cause, que quelques répliques. Tout repose donc sur l'attente que nous avons de ses réactions, sur sa présence et la gamme d'émotions qu'il réussit à faire passer. Il est surprenant, drôle et émouvant à la fois. Un talent prometteur.

Ses partenaires parents ne sont pas en reste : en mère pleine de bonne volonté, un peu dame pieuse, un peu coincée et surtout fortement dépressive, Anne Brochet réussit elle aussi son coup. Dès son entrée, cheveux tirés et robe noire, offrant un tee-shirt marqué « super papa » à son Patrick de mari, elle emporte l'adhésion. Fort belle prestation, également, de l'ex-Robin des bois, Jean-Paul Rouve qui s'est composé une tête de parfait beauf' avec lunettes et moustache. On l'imagine bien accro au Cac40, petit cadre surmené, qui n'avait sûrement pas besoin, en rentrant du bureau, de trouver, je cite, « un jeune squattant son canapé ».

« - Je te demande pardon ? Non, c'est moi, c'est moi qui te demande pardon ! »

Ces deux répliques, en leitmotiv, campent bien la relation du couple. Le mari ne peut en croire ses oreilles et la femme, de peur d'être encore une fois « engueulée », se répand à l'avance en excuses. Mais la réalité est là, et Youri devient incontournable. Ayant mangé les lettres P et A du Scrabble, il finit par arriver à dire papa, au point que la femme, jalouse, voudrait bien lui faire avaler un M, pour qu'il puisse aussi dire maman. Tout est à l'avenant : réjouissant et outré juste ce qu'il faut. À la fin, nous aurons passé une heure vingt sans qu'ait été résolue (et c'est tant mieux !) la question que pose Patrick à un médecin qu'ils consultent : « Mais, qui est Youri ? »

 

Gérard NOËL

 

De Fabrice Melquiot

Mise en scène de Didier Long

Avec Jean-Paul Rouve, Anne Brochet et Jacques de Candé