Au théâtre de la Colline,
rue Malte-Brun PARIS 75020
Tél : 01 44 62 52 52
Du 7 mai au 11 juin 2011
Nous avions quitté la scène de la Colline et « mademoiselle Julie » qui se joue en alternance, nous y revoici pour «Créanciers ». Le décor est toujours à dominante rouge et verte. Adolf, un sculpteur, se plaint de sa femme auprès d'un ami, lequel met de l'huile sur le feu, attisant son ressentiment pour en faire au final une haine implacable. Christophe Maltot joue le pauvre mari, artiste fragile, aux yeux fiévreux et aux gestes incontrôlés : il est dépassé par
cette femme qu'il a modelée, dit-il, mais qui l'a, en même temps, vidé de sa force et de ses certitudes. Elle a même écrit un livre où elle règle des comptes avec sa vie d'avant et son premier mari. Un imbécile, semble-t-il. Mais qui est l'imbécile de l'autre ?
Le thème abordé ici est celui des rôles dans le couple. Peut-on impunément être une sorte de père pour son épouse ? Le risque est de se retrouver comme Adolf le fils de sa femme. Les deux se sont croisés. Ils auront si peu profité d'une relation égalitaire qu'ils s'appellent entre eux frère et sœur. Mais le mari est jaloux et son « ami » en rajoute dans le procès de l'épouse. Insidieux, machiavélique, Vladimir Yordanoff excelle dans ce personnage dont on comprendra ensuite
pourquoi (mais nous ne le dévoilerons pas) il agit de la sorte.
Strindberg jugeait « Créanciers » comme son ouvrage le plus mûr. Il disait y dépeindre «la femme vampire, charmante, fate, parasite, aimante (deux à la fois) » Clara Simpson (Christine dans « Mademoiselle Julie ») joue ici le rôle de Tekla. Elle y est impériale. Maniant tour à tour la séduction et le côté maternel, toute de rouge vêtue, elle incarne et casse ce côté « mante religieuse » dont, un peu vite, l'affublaient les autres personnages.
Les créanciers du titre, ce sont ceux qui vous ont donné un jour quoi que ce soit et à qui vous êtes « redevables ». Que vous soyez d'accord ou non, ils viendront, un jour, réclamer leur dû. C'est un thème riche, que Strindberg traite « au marteau », comme dans la philosophie de Nietzsche.
Une longue scène évoque la femme. Puis celle-ci entre en scène et règle ses comptes avec son mari. Celui-ci s'éclipse pour laisser la place à Gustaf, l'ami. Fin. Cette rigueur dramatique, le metteur en scène Christian Schiaretti la sert au mieux. Il en respecte la fatalité, ne s'autorisant aucune fantaisie, aucun artifice qui aurait risqué d'en diluer l'efficacité.
Il n'y a pas de sang, ici, mais il y a un homme usé, malade (le mari) qu'on entrevoit dans la chambre où il gît après la découverte de ce qu'il croit être son infortune. Il y a les supplications de Tekla devant sa porte, une sculpture évocatrice qui ne sera pas terminée. Il y a enfin un amour vrai que l'on découvre à la toute fin. Strindberg nous a bien menés en bateau, comme ses personnages.
En conclusion, «Créanciers» est, avec «Mademoiselle Julie», un spectacle à voir. Vraiment.
Gérard Noël
CREANCIERS, d'Auguste Strindberg
mise en scène Christian Schiaretti
avec Christophe Maltot, Clara Simpson, Wladimir Yordanoff
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