UN AUTRE NOM POUR ÇA

Théâtre Garonne
1, avenue du Château d'eau
31300 Toulouse
Tel : 05 62 48 54 77

Jusqu'au 12 octobre

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Mis en ligne le 10 octobre 2013
UN AUTRE NOM POUR ÇA

Un autre nom pour ça :  

Théâtre supplanté par la performance

Théâtre aphone

 

Le jeudi 3 octobre 2013, je suis allé au théâtre Garonne voir la dernière création de la compagnie de théâtre Tatoo dont le metteur en scène est Mladen Materic.

Après avoir obéi au rituel : faire la queue pour retirer son ticket à l'accueil, faire la queue pour boire un verre de vin ou se restaurer, faire la queue pour donner son ticket à une hôtesse qui en conserve une partie, le spectateur entre dans la salle. Face à la scène. La scénographie suggère une maison d'un étage. Une échelle de chaque côté de la scène permet d'y accéder.

En bas à gauche un rideau rouge dissimule des chaises et une table ; à droite une table, des chaises, une fenêtre mais pas de rideau rouge. Les deux espaces sont reproduits au premier étage mais le rideau rouge est à droite.

La scénographie informe le spectateur qu'il devra porter son attention sur ce qui se passera en haut et en bas ; par la juxtaposition des espaces, elle le conditionne au fait que des scènes seront jouées en simultané

Par ailleurs, l'existence d'espaces scéniques dissimulés par un rideau de velours rouge  et d'autres non dissimulés attire son attention sur la mise en abîme du théâtre et de la vie. La juxtaposition de ces deux espaces pourrait suggérer qu'il y aura une confrontation entre la vie et le théâtre.

Pendant ce temps de latence donc qui marque le moment où le spectateur entre dans la salle et le moment où s'éteint la lumière de la salle ce dernier peut formuler son attente sous forme d'hypothèse : je suis au théâtre Garonne et je vais voir des comédiens qui jouent des comédiens qui jouent des personnages et des comédiens qui jouent des personnages. Mais s'agira-t-il de cela ?

Lorsque la lumière se fait, on voit un homme qui joue, réalise une performance avec un des cônes de révolution du décor. Ensuite, il déplace le rideau de théâtre pour le mettre à droite. Un couple s'assoit. Ils ne parlent pas. … Pendant 90 minutes, des hommes et des femmes se rencontrent, jonglent, font du trapèze, des tours de magie. Par moment on croit assister au début d'un conflit, à d'autres on croit être en présence d'une histoire qui s'écoulerait dans le temps : référence à la chute du mur de Berlin, référence à la coupe du monde de football de 1998 mais rupture, retour en arrière et référence à l'avènement de Khomeini, Iran 1979 sans vraiment qu'un lien soit explicitement fait entre ces évènements.

Lorsque le lien entre les personnes sur scène se fait par l'intermédiaire de la parole et non par l'intermédiaire d'un objet, cette parole est tout de suite dénoncée comme outil de la division, du combat (agon), de la mauvaise foi.

 « Ça » se termine sur un tour de magie qui réunit la belle trapéziste et le beau magicien. Avec ces sphères de cristal avec lesquelles il peut jongler et faire éclater comme des ballons remplis d'eau, le beau magicien séduit la belle trapéziste. Comme si l'éveil au sentiment amoureux et l'entente ne pouvait se faire que par l'intermédiaire de la magie.

Un Autre Nom pour ça est une proposition poétique et agréable à voir.

Cependant il me semble nécessaire d'y prendre une certaine distance. D'après le site du théâtre Tatoo Mladen Materic fait le constat que ''l'essentiel des relations humaines échappent au langage et à sa signification'', sans pour autant préciser ce qui est essentiel dans les relations humaines, et ayant fait ce constat, il choisit de faire de l'action ''le fondamental du langage théâtral''. D'après ce qui vient d'être dit,  la démarche artistique de Mladen Materic se nourrit d'une certaine méfiance à l'égard du langage parlé.

Un Autre Nom pour ça est ma première mise en contact avec le travail de Mladen Materic, je ne suis donc pas en mesure d'affirmer quoique ce soit. Mais cependant Un Autre Nom pour ça, qui semble rejeter toute construction dramatique, tout récit ; qui semble rejeter le langage parlé comme outil de la division et de la mauvaise foi, dont a du mal à nommer le sujet, est-il encore du théâtre ?

Si le théâtre a toujours été un type de performance la performance a-t-elle toujours été un type de théâtre ? Certes le langage parlé ne permet pas de traduire la totalité de ce qui se passe dans les relations humaines, certes le langage parlé peut aussi être un outil de la mauvaise foi et de la manipulation mais un tour de magie comme n'importe quelle action peut l'être aussi. L'acte d'un acteur ne dit pas toujours l'intention réelle de l'acteur. Le magicien a séduit la trapéziste par la magie ou la trapéziste a laissé croire au magicien que ce dernier l'avait séduite mais connaissent-ils avec certitude et réciproquement leur intention véritable ? Bien qu'ils aient agi est-on sûr, comment être sûr, que leur action a témoigné de l'essentiel de leur relation en tout cas plus que ne l'aurait fait le langage parlé ? Le langage parlé est comme la plupart des artefacts frappé du sceau de l'ambivalence. Un couteau peu servir à trancher une pomme pour la partager avec l'autre comme il peut servir à trancher la gorge de l'autre. Le couteau est-il responsable de son usage ? Faut-il ne plus se servir du couteau ?

Que peut dire du monde, des relations humaines, de la vie de l'esprit, de l'individuation un théâtre aphone qui rejette l'épopée, le drame, la rhétorique ?

Ce théâtre là n'est-il pas le signe d'un renoncement à s'engager, témoigner, montrer la complexité, participer à la construction d'un monde humain ?

Le rejet du langage parlé n'est-il pas aussi un rejet du théâtre en tant qu'espace ouvert à la contradiction, aux débats, aux doutes ?

À l'origine, il y a le verbe. C'est le verbe qui rend possible un monde humain ou inhumain. Pourquoi n'y a t-il pas de société sans langue, sans parole ?

Dans le refus du verbe au théâtre n'y aurait-il pas quelque chose relevant d'une certaine nostalgie du néant, un certain abattement face à la complexité et l'indicibilité du monde, des relations humaines et de soi, bref un certain pessimisme orgueilleux ; quelque chose comme, pour paraphraser Cioran, j'aurais aimé ne pas être né ? Le théâtre n'est-il pas cet art qui, depuis Eschyle au moins, tente de dire, tout en sachant qu'il ne peut pas dire mais qui accepte avec humilité le bégaiement et la rature ?

En attendant qu'un autre nom soit trouvé pour « ça » j'opte pour le théâtre qui bégaie sans pour autant rejeter la performance qui a toujours fait partie du théâtre ni les opposer l'un à l'autre.

Mais je suis plutôt convaincu qu'aujourd'hui plus que jamais, nous avons besoin d'un théâtre qui soit poétique certes, qui intègre les nouvelles technologies certes, mais qui soit aussi un espace de débats où les contradictions sont exhibées et non passées sous silence comme dans un plan marketing ou de communication politique ; un théâtre qui s'intéresse aux sciences, à la politique, aux relations internationales, à l'économie, aux enjeux de société ; un théâtre qui s'intéresse à la vie et au devenir de l'espèce ; un théâtre inquiet et qui accepte de bégayer, de répéter ce qui se dit depuis la nuit des temps et aussi avec l'humble ambition de dire quelque chose de nouveau et d'aider les gens à décrypter notre monde. Un théâtre atteint d'aphonie peut-il cela ?

Charles Zindor

 

 

Un autre nom pour ça

conception, décor et mis en scène Mladen Materic
assistant mis en scène Thierry Dussout

avec Haris Resic, Emanuelle Hiron, Miguel Muñoz, Zenaida Alcalde,Thierry Dussout

textes Sylvain Lafourcade et Théâtre Tattoo 
direction technique et création lumière Frédéric Stoll
régisseur son Sylvain Lafourcade
musique Haris Résic
construction décor Pierre Dequivre et La Fiancée du pirate
costumes Odile Duverger
création vidéo Petar Bilbija, George Dyson

production Théâtre Tattoo, théâtre Garonne - Toulouse 
coproduction Scène nationale de Sénart, La Rose des Vents - Scène nationale de Villeneuve d’Ascq, Le Parvis Scène nationale - Tarbes Pyrénées