RICHARD III
TNT
Théâtre National de Toulouse
05 34 45 05 05
1 rue Pierre Baudis
31000 Toulouse
Jeudi 7 avril 2016, c'est debout que le public nombreux du théâtre national, théâtre de la cité de Toulouse ovationna le récit de 4h30 de Richard III, de ces intrigues en passant par sa véritable histoire et de comment il mourut, d'après Shakespeare adaptée et mise en scène par Thomas Jolly. Ce fut un Richard III, joué par le metteur en scène, gracieusement difforme, asymétrique et élégant à la verve confondante, un peu fluet et agile comme le diable en son adolescence.
Et pourtant Shakespeare écrit comme s'il était un confident à qui tout serait dévoilé et qui à son tour exposerait raconterait tout au spectateur mettant en doute son désir de vérité.
Nous avons beau savoir que la fiole exhibée devant la communauté des nations comme élément de preuve témoignant de la noirceur du dictateur en disgrâce était un élément de dramaturgie, nous avons beau savoir que l'Irak est un chaos, nous avons beau savoir que l'Afghanistan est un merdier, nous avons beau savoir que les lybiens avaient le meilleur niveau de vie de toute l'Afrique et que son représentant a été violemment assassiné et sodomisé en public avec la complicité d'autres chefs d'états qui pourtant l'avaient reçu seulement quelques mois avant en grande pompe et manger à la même table que lui et que depuis c'est le chaos pourtant nous sommes prêts à croire qu'il faut aussi faire la même chose en Syrie et dans d'autres endroits du monde et en gobant les mêmes récits construit sur le même schéma narratif; pire que cela, les acteurs qui ont contribué à répandre le chaos dans ces pays en causant la mort, l'enlèvement , l'enfermement, la torture de milliers et de milliers de gens peuvent tranquillement avouer qu'ils ont menti sans que cela ne change absolument rien. Ils racontent, ils disent tout simplement que leur désir était mu par la volonté de produire un plus grand bien pour le plus grand nombre et cela nous suffit et nous l'acceptons et nous sommes prêts à leur confier à nouveau l’objet de leur ambition : le pouvoir.
N'est-ce pas cela que nous révèle Shakespeare ? Il montre qu'une mère hésite à donner en mariage sa fille à celui même qui a tué ces deux enfants héritiers du trône si ce dernier lui fait la promesse qu'il en fera une reine ; qu'une jeune fille qui suit le cortège mortuaire de son père peut être séduite par celui là même qui l'a envoyé pour un voyage dans l'autre monde accompagné de son mari si ce dernier est capable de rendre vraisemblable par son dire que c'est pour elle et pour elle seule qu'il a agi ainsi. Bref, s'il est capable de faire un joli emballage, de personnaliser le produit et de laisser croire au client qu'il est le point de départ et le point d'arrivée de toute son attention durant tout le processus : de la conception à la production jusqu'au packaging. Et la jubilation de Richard III qui dans la mise en scène se roule presque par terre après avoir vendu son histoire à la Reine Elizabeth est aussi dénuée de tout amour du prochain que celle d'un vendeur qui vient de fourguer un canapé à trois fois son prix à une mamie dans un HLM.
Bref que nous sommes capables d'aller voir une machine qui produit de la merde et de repartir chez nous avec de la merde parce qu'on nous a dit que c'était de l'art comme le fit en 2000 Wim Delvoye avec sa machine Cloaca qui a été exposée dans le monde entier. D'une certaine façon le metteur en scène nous tend ici le même miroir au fond duquel la chose est à la fois montrée pour ce qu'elle est et à la fois de manière inversée pour ce qu'elle prétend être: le caca est nommé art, le criminel assoiffé de pouvoir, le bourreau est montré sous l'habit de celui qui se sacrifie. Les deux images coexistent au fond du miroir dévoilant l'extrême ambivalence du langage et notre nudité et notre solitude. Thomas Jolly accepte l'état d'esprit de Shakespeare qui est de tout dire de tout dévoiler, il construit sa mise en scène comme un conte avec un côté un peu loufoque où certains personnages sont fardés de blanc et tout de noir vêtus, étranges comme s'ils s'étaient évadés d'un film noir ou de la famille Addams de telle sorte que le spectateur ne puisse s'identifier à aucun des personnages si ce n'est au final avec Richard avec lequel cependant il ne peut s'identifier sans se retrouver immédiatement dans une position psychiquement délicate. C'est pourtant le chemin qu'il fait parcourir au spectateur montrer la construction du monstre et faire en sorte que c'est le spectateur lui-même, alors que rien ne lui a été caché du personnage et de ses ambitions, qui valide, réclame et applaudisse à ce couronnement. Voilà ce que nous faisons : acclamer des Richard III dissimulant à peine leur ambition du pouvoir sous le masque du vouloir servir l'intérêt du plus grand nombre, nier ce qui est et donner plus d'importance à la part fictionnelle, image inversée d'une réalité sordide de laquelle nous préférons détourner le regard; sortir de chez soi, allez voir exposée une machine qui produit de la merde aussi puante que celle de tout un chacun, nier presque qu'avec délice la réalité de la chose et repartir fièrement chez soi avec cette chose après l'avoir payée parce qu'on nous a dit que c'était de l'art et non du caca qui pue duquel pourtant nous avons appris à nous détourner dès la plus tendre enfance depuis des millénaires.
Richard s'écroule certes, mais plus à cause de sa propre faiblesse, de sa propre béance. Il puisa son énergie et sa volonté de ses blessures narcissiques mais lorsqu'il fut trop près du soleil, ses failles s'ouvrirent, il chuta, terrassé par sa conscience. Était-il encore trop humain ?
Charles Zindor
Richard III
De William Shakespeare
Traduction Jean-Michel Déprats
Adaptation Thomas Jolly et Julie Lerat-Gersant
Mise en scène et scénographie Thomas Jolly
Compagnie La Piccola Familia
Avec
Damien Avice
Mohand Azzoug
Étienne Baret
Bruno Bayeux
Nathan Bernat
Alexandre Dain
Flora Diguet
Anne Dupuis
Émeline Frémont
Damien Gabriac
Thomas Germaine
Thomas Jolly
François-Xavier Phan
Charline Porrone
Fabienne Rivier
Collaboration artistique
Pier Lamandé
Collaboration dramaturgique
Julie Lerat-Gersant
Assistant à la mise en scène
Mikaël Bernard
Création lumière
François Maillot
Antoine Travert
Thomas Jolly
Musiques originales et création son
Clément Mirguet
Création costumes
Sylvette Dequest
Assistée de
Fabienne Rivier
Parure animale de Richard III
Sylvain Wavrant
Création accessoires
Christèle Lefèbvre
Création vidéo
Julien Condemine
Assisté de
Anouk Bonaldi
Photographies des portraits royaux
Stéphane Lavoué
Doublure Richard III en création
Youssouf Abi Ayad
Répétiteur enfants
Jean-Marc Talbot
Directeur technique
Yann Duclos
Régie générale
Olivier Leroy
Régie lumière
François Maillot
Antoine Travert
Régie son
Clément Mirguet
Régie plateau
Lee Armstrong
Jean-Baptiste Papon
François Aubry
Régie accessoires
Christèle Lefèbvre
Régie costumes
Fabienne Rivier
Coordination de la construction
Olivier Leroy
Spectacle présenté à Toulouse avec le soutien du Conseil Départemental de la Haute-Garonne
Mis en ligne le 27 avril 2016