NÉCESSAIRE ET URGENT
Théâtre Garonne
1, avenue du Château d'eau
31300 Toulouse
Tel : 05 62 48 54 77
Du 9 au 13 décembre 2014
Mardi 9 décembre 2014, la compagnie Diphtong Théâtre Garonne a présenté Nécessaire et Urgent d’Annie Zadek dans une mise en en scène d’Hubert Colas...
Évidemment, nous ne pouvons qu’être d’accord sur le fait qu’il est nécessaire et urgent de dénoncer ces postures et impostures suprématistes, exceptionnalistes, ces doctrines de peuples élus, de destinée manifeste, ces racismes qui débouchent sur Auschwitz, Hiroshima, Nagasaki, le Viet-nam, Rwanda 94, déclinés en esclavagisme, colonialisme, impérialisme ; dénoncer toutes ces croyances et doctrines qui font obstacle à une véritable fraternité entre les gens, entre les peuples ; dénoncer toutes ces doctrines qui portent en elles la barbarie la plus sombre et qui sont cause que nous nous retrouvions ici ce soir dans ce théâtre en compagnie de spectres, de fantômes du passé, traces d’une mémoire fuyante et évanescente structurée par le silence et le non-dit de nos parents dont nous ne pouvons qu’imaginer la souffrance.
Nous n’avons pas participé à ces crimes mais pouvons-nous fuir ces ombres qui apparaissent et disparaissent dans le miroir comme des âmes mortes prisonnières condamnées à hanter le présent, notre présent ? Pouvons-nous les fuir sans tendre l’oreille ?
Miroir, chambre à gaz, où chacun se perçoit à la fois comme un et élément d’un ensemble, la communauté des hommes et des femmes au-delà des différences. Mais sommes-nous capables de voir dans ce défilé de spectres dans une chambre à gaz des villageois algériens enfermés dans une grotte à côté de fagots de bois auquel on y mettait le feu et qui mouraient ainsi asphyxiés et dont les os pouvaient ensuite servir de remblais pour les routes ou finir brûlés et utilisés comme charbon dans les raffineries de sucre ? Sommes nous aussi capables de voir dans ce défilé de spectres les nègres poursuivis, enchaînés, déportés, condamnés au travail forcé, soumis à une législation exceptionnelle, le Code Noir ? Sommes nous aussi capables de voir parmi ces spectres l’Irakien jeté à terre dans la prison d’Abu Ghraïb et tenu en laisse par une soldate de la démocratie ? Car des camps de concentrations et d’extermination des juifs, à Guantánamo, aux claquements du fouet sur le dos de l’esclave dans le champ de coton il y a toujours cette même idée : certains humains seraient supérieurs à d’autres, il existerait des hommes et des sous-hommes, des maîtres et des esclaves, des peuples élus et des peuples pêcheurs, des peuples conquérants et des peuples nés pour être soumis.
Alors comment être certains que nos enfants ne seront pas demain des parents dont les enfants s’assoiront à la même place que nous aujourd’hui, face au même miroir pour voir avancer lentement dans la pénombre les mêmes spectres du passé, les écouter leurs adresser les mêmes questions et s’apercevoir tout comme nous que les faits, même les plus monstrueux, sont sans consistance ; que les mailles du filet tissés par les mots aussi serrées qu’elles soient ne peuvent retenir les faits ; que la mémoire est chaire imparfaite soumis au temps qui passe, que l’histoire finit par devenir de la poésie et la poésie finit par perdre son sens à force de côtoyer l’horreur ?
Nécessaire et Urgent : il paraît qu’à l’est, à nouveau, bruissent les bottes et que partout s’amoncellent les nuages du chaos. Que voulons-nous ? L’horreur et la répétition du même ? Qu’est-ce qui est bon ? Qu’est-ce que la beauté ? Que voulons-nous ? Qui est l’étranger et qui sommes-nous pour l’étranger ?
Charles Zindor
Nécessaire et Urgent
de Annie Zadek, Hubert Colas
Mise en scène de Hubert Colas
Avec Bénédicte Le Lamer, Thierry Raynaud
Mis en ligne le 15 décembre 2014