LE SONGE D'UNE NUIT D'ÉTÉ

Théâtre Sorano Jules Julien
6 Avenue des Écoles Jules Julien
31400 Toulouse
Tél : 05 61 25 79 92

Vu le 5 décembre 2013

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Mis en ligne le 19 décembre 2013

Le songe d'une nuit d'été

Un Songe désenchanté.

J'ai vu récemment le songe d'une nuit d'été, de William Shakespeare,  au théâtre Sorano Jules Julien à Toulouse.  Le spectacle fut chaleureusement applaudi. À la question avez-vous aimé, deux  lycéens  me répondirent tout sourire : oui. Sur le chemin, j'ai échangé avec trois adultes : un homme et deux femmes, les trois ont trouvé que c'était un bon spectacle.  L'une des femmes fait du théâtre en amateur depuis longtemps et va au théâtre régulièrement, elle a trouvé que la pièce a été modernisée sans pour autant trahir Shakespeare.

Que raconte le songe ?

À Athènes, Thésée s'apprête à célébrer ses noces avec Hippolyte, la reine des Amazones. Dans la forêt avoisinante, Obéron, roi des fées, se dispute avec Titania, sa femme, au sujet de leurs nombreuses conquêtes passées et présentes. Ajoutons deux couples d'amoureux contrariés – Hermia, qui est amoureuse de Lysandre mais promise à Demetrius, lequel est aimé d'Helena – et des artisans partis répéter une tragédie pour les noces de leur roi, sous la baguette du truculent Bottom. Tout ce petit monde finit par se retrouver dans la forêt, où les sortilèges d'Obéron, aidé par le lutin Puck, vont semer la confusion au cours d'une nuit dont personne ne saura vraiment si elle est un rêve, un jeu ou un fantasme. Un songe ?

Que fait Shakespeare ?

Il déplace les hommes et les femmes de la cité harmonieuse menacée de crise vers la forêt, au clair de lune, où rêves et réalités se mélangent de même que les genres et les espèces.  Shakespeare nous fait passer d'un monde gouverné par la raison vers un monde gouverné par la magie et où l'imaginaire est roi.

Que donne à voir la mise en scène ?

Lorsque les spectateurs rentrent dans la salle les  comédiens sont déjà sur scène. Ils sont habillés de couleur sombre (noir, bleu foncé). Ils jouent au Kubb, jeu de quilles suédois. Par la suite, l'espace sera structuré par des cubes de couleur marron clair qui rappelle le cuir.

Sur le mur de fond, en hauteur, un grand écran blanc.

L'espace scénique (le bas) est réservé au « peuple » et l'écran scène en haut est réservé aux dignitaires : Thésée Duc d'Athènes  et Hyppolyte appartenant au monde de la mythologie ; Oberon/Titania roi et reine des fées, appartenant au monde  de la féerie. La transgression ou le franchissement de la frontière entre le monde virtuel et le monde réel par un personnage du bas, en occurrence Bottom, s'effectue par ''téléportation'' après une première transgression de la frontière inter espèce par métamorphose. Bottom l'humain est transformé en âne et fornique avec la reine des fées sous le charme du suc de la pensée. L'aspect transgressif est mis en relief par la mise en scène, mise en image, qui montre, suggère que Bottom âne est sodomisé par Titania reine des fées. La femelle est mâle et le mâle est femelle.

Dans la pièce de Shakespeare dignitaires et sujets sont sur le même plan. Dans la mise en scène la  verticalité entre sujets et dignitaires est réinstaurée.

La virtualisation aboutit ici à une double mise à distance : des personnages entre eux et des spectateurs avec les personnages dignitaires (Thésée/Hypolitte, Oberon/Titania).  On est loin des possibilités qui seront offertes par les  technologies d'immersion combinées à la nano biotechnologie et la puissance de calcul des ordinateurs quantiques de demain qui vont ou qui permettent déjà dans les laboratoires  toute sorte de trafic du corps humain. La question de la coexistence  de l'homme avec des personnages virtuels immatériels est secondaire. L'imaginaire des humains y est préparé depuis longtemps. Dans le rêve, l'individu revit un événement vécu dans la journée ou longtemps avant, mais l'évènement réapparaît  différemment combiné avec d'autres éléments : captation, encodage, enregistrement puis décodage, filtrage et transformation... C'est-à-dire un processus analogue à celui utilisé pour virtualiser les personnages de Oberon, Titania...Des acteurs sont filmés puis au moyen de la technologie ici l'informatique un filtrage est opéré qui conduit à la déréalisation des images. La virtualisation est aussi sous-entendue par les multiples métamorphoses repérables dans la mythologie égyptienne par conséquent dans la mythologie grecque et romaine, repérable aussi dans des religions païennes et par la croyance en l'existence de fantômes.

Le père mort d'Hamlet lui apparaît sous sa forme fantomatique pour commanditer sa vengeance. Zeus est virtuellement ce taureau qui poursuit Io transformée en génisse et virtuellement aussi cette  énergie qui foudroie Sémélé mère de Dionysos finissant son temps de gestation dans la cuisse de Zeus le mâle-père, dont la cuisse devient utérus après l'exécution de la femelle-mère. La cohabitation, la copulation inter espèce, les métamorphoses et hybridations sont présentes depuis longtemps dans l'imaginaire des humains.

La question la plus pressante il me semble est celle de la fusion de l'humain et de la machine ou du devenir machine de l'Homme soutenu par les transhumanistes ou posthumanistes et l'Art en tant que media est un canal naturel  de propagation et de normalisation de cette idée.

Il me semble que le théâtre en tant qu'art polyphonique devrait faire usage des nouvelles  technologies qui permettent virtualisation et immersion du public non pas de manière euphorique mais de manière distanciée sinon le théâtre  se fait simple caisse de résonnance d'une marche de transformation radicale de l'espèce et très peu démocratique puisque finalement si on demande aux gens de voter pour leur pouvoir d'achats et on ne leur demande pas de voter  sur le devenir machine  de l'Homme. Par ailleurs, il me semble que le fait de poser l'utilisation des nouvelles technologies au théâtre comme allant de soi est en contradiction avec la dernière phrase qui s'affiche  sur l'écran : « le système nous veut triste, il nous faut arriver à être joyeux pour lui résister »

 Or ce qui rend les gens tristes et angoissés, c'est aussi ce sentiment d'être dépassés, dépossédés de leur vie, de vivre dans un monde envahi par des technologies sur lesquels ils n'ont aucune prise, d'être de plus en plus coupés de la nature et devenir futiles. Les nouvelles technologies, les nano biotechnologies, les concepts comme l'humain augmenté ont leur face sombre et s'inscrivent dans le cadre d'une idéologie du progrès très ambivalent pour ne pas dire plus.

Je ne peux que constater que Shakespeare effectue un déplacement de la cité vers la nature et la mise en scène proposée effectue le déplacement inverse comme s'il fallait rationnaliser, contenir le foisonnement poétique de Shakespeare, comme l'idéologie du progrès cherche à contenir la nature jusqu'à sa disparition totale, totale inclus l'Homme.

Ce songe m'est apparu comme un songe froid et désenchanté mais peut-être que si j'avais l'âge de ces lycéens j'aurais été aussi émerveillé comme je fus émerveillé par la mise en scène de Stanislas Nordey au Théâtre des Amandiers en 1996 qui n'avait pas cherché à rationnaliser un monde ensorcelé.

Qu'est-ce qu'être triste ou joyeux pour une machine ou  personnage virtuel ?

Charles Zindor

 

 

Le songe d'une nuit d'été

D'après Shakespeare
Adaptation, mise en scène & scénographie David Gauchard

Avec Nicolas Petisoff, Emmanuelle hiron, Vincent Mourlon, Philippe Labonne, Anne Buffet, Franck Magis & L.o.s./Laurent Duprat et à l'écran Léonore Chaix, Guillaume Cantillon & 4 enfants

Collaboration artistique Youness Anzane
Musique Robert Le Magnifique & Thomas Poli
Featuring Laetitia Shériff
Nouvelles technologies Taprik
Vidéo & graphisme David Moreau Direction technique Yvon Truffaut
Création lumière Henri Merzeau Régie lumière Michaël Cousin Son Klaus Löhmann
Costumes Josette Rocheron
Construction du décor Alain Pinochet (Ateliers du Théâtre de L'union, CDN du Limousin)