LA DOUCE
30 MARS 19h & 21h30
31 MARS / 4 > 7 AVRIL 20H
AUDIOSPECTACLE / 50MN
GLOB THEATRE
05 56 69 85 13
Allongé dans un fauteuil, immergé dans l'antre d'un tunnel, le spectateur se laisse embarquer par la lourde cadence sonore d'un train s'approchant.
Un phare l'éclaire. La locomotive 12.004 apparaît.
Âgé d'une cinquantaine d'années, Léon Van Bel, mécanicien-machiniste, amant-aimant d'une machine à vapeur nous présente celle qu'il a renommée affectueusement sa « Douce ».
En laissant raisonner dans cette alcôve sombre la voix de ce cheminot réticent au progrès, la compagnie « Intérieur nuit » fait du spectateur le témoins précieux de l'histoire, celle de la fin des chemins de fer par le prisme d'un récit singulier mêlé au destin d'une locomotive la « Douce ».
Entre effritement de l'âge d'or d'une révolution industrielle et scénario d'anticipation, abandon des voies ferrées et disparition des locomotives, dans l'empreinte d'un naturalisme zolien, non sans rappeler l'univers de « la bête humaine », François Schuiten dessine la rudesse de travailleurs parfois rustres mais sensibles, ceux qui, mariés et fidèles aux rails, avaient pour défi quotidien la ponctualité et la conduction à bon port. Par un parti pris noir et blanc radical et une mine graphique expressionniste, franche et hachurée, le dessinateur parvient à retranscrire de façon saisissante une communauté soudée de figures ouvrières, tannées par la pénibilité de l'effort, aux visages couverts de suie, stigmates de leur labeur. On saisit la nécessaire force et robustesse de ces vies nomades et tandis que les voix de ces témoins d'un temps passé ricochent sur les parois du tunnel, Léon Van Bel embarque le spectateur dans l'avant de sa locomotive, sur des rails obsédés à l'idée de garder « sa douce » près de lui.
Dans le trémolo d'une voix éraillée et toussante, fatiguée mais encore résistante, Léon relate avec tendresse mais pugnacité son refus d'embarquer sur les grandes eaux progressistes, de remplacer la vapeur par l'électrique. Farouche réfractaire au changement synonyme de séparation d'avec sa machine, il va dès lors déployer toute son énergie pour la retrouver lorsque cette dernière, détrônée par le téléphérique, va lui être arrachée sans ménagement. La mise au rebut par la société de cette locomotive est, pour le vieil, une pensée inacceptable. Plus encore, la désaffection de la 12 dans une immense fosse commune d'acier équivaut à signer son propre arrêt de mort. Sans attendre donc il décide de partir à la recherche de sa disparue, très tôt rejoint par Elya, jeune fille muette et voleuse de métaux.
Traces post restantes d'une époque révolue, si l'histoire s'arrête brusquement, faiblesse souvent reprochée au scénario de François Schuiten, c'est peut-être aussi parce que ce témoignage porte quelque chose en souterrain de plus profond que révèle le procédé de l'audio-spectacle. En fendant la case de la bande dessinée pour donner corps et voix à l'histoire d'un cheminot, porte parole du milieu ouvrier, « Intérieur nuit » désincarcère l'histoire de sa double page, reléguant dès lors le scénario en seconde plan pour donner vie à cette touchante et humaine échappée belle.
L'avènement du téléphérique devient prétexte à traiter le profond attachement pour l'homme à sa machine.
Dans cette mise en branle des sens, on en vient ainsi à se demander si cette jeune fille sauvage et muette Elya, sortie presque de nulle part, existe vraiment ou bien si elle ne serait pas l'âme de sa compagne perdue comme une image mentale qui serait le fil conducteur guidant Léon vers sa destinée-dulcinée.
Enfin, après un long voyage de plusieurs jours, il croit reconnaître le sifflement de sa Douce qui l'appelle au loin, mais si c'est elle, parviendra-t-il à la redémarrer et la sauver de ce cimetière sans fin ?
Cynthia Brésolin
La Douce
Bande Dessinée – scénario et dessin : François Schuiten
réalisation audio-spectable : Cie Intérieur Nuit
Réalisation et mises en espaces audiovisuelles : Yvan Blanloeil et Karina Ketz
Voix : Jean-Pierre Beauredon, Jean-Christophe Quenon, Alain Chaniot, Gilbert Thiberghien, Karina Ketz, Étienne Kimes, Yvan Blanloeil, Daniel Cooreman.
Mis en ligne le 3 avril 2017