DOM JUAN

Théâtre du Pavé 
34 rue Maran
31400 Toulouse 
05 62 26 43 66

Du 8 au 17 janvier 2015

 


J’ai vu jeudi 8 janvier 2015 au théâtre du Pavé à Toulouse le Don Juan de Molière.

Il s’agit d’un Don Juan resserré dont le but serait de faire entendre l’essence de la pièce.

L’ensemble des rôles (la pièce en compte 17) est tenu par trois comédiens. Certains personnages et scènes sont supprimés.

Le décor, pour cette pièce à machine, se veut simple : côté jardin, un écran et des ballots posés devant, côté cour deux praticables superposés. L’espace de jeu intègre l’espace des spectateurs. Les lumières sont réduites au minimal, leur fonction ne semble être ni esthétique, ni temporelle. L’élément principal des costumes est la combinaison de travail de couleur noire. La plupart des changements et transitions d’un personnage à l’autre se font à vue.

Je ne parlerai pas d’Elvire, j’ai les leçons de Louis Jouvet en tête. Comment une actrice aussi douée qu’elle soit peut-elle passer de Gusman, Charlotte, la Statue du commandeur, le Spectre à Elvire ?

Le traitement opéré est justifié par la volonté de révéler l’essence de la pièce. Mais quel est l’essence de Don Juan ?

Je ne sais pas. Après avoir vu le spectacle, je ne le sais toujours pas. Mais comme tout le monde j’ai des idées préconçues. En allant voir la pièce, comme d’autres spectateurs, j’ai un Don Juan en tête. Je me le représente comme un séducteur, un conquérant qui tire plus de jouissance dans la conquête que de la conservation ou de la possession de l’objet conquis ; un personnage qui s’en fout royalement du mariage, comme de la famille ; qui ne se soucie nullement de l’épargne ; un personnage nullement effleuré par les souffrances occasionnées par sa conduite et si effleurement il y a, ce qui en résulte c’est un frémissement de plaisir, comme à la vue des larmes d’Elvire ; un personnage qui ne croit qu’en deux et deux font quatre, qui considère la parole comme un outil dont il use comme on ferait d’un masque ou d’un costume non pas parce qu’il désire se cacher mais parce que s’il se montre tout nu, les biches convoitées s’enfuiront effrayées et fascinées ; un homme qui considère la réalité comme manipulable, il est toujours possible de nier l’évidence (objet de la scène entre Martine et Charlotte, scène supprimée) ; un personnage qui ne peut appartenir ni à la noblesse ni à la bourgeoisie, un hors classe, un subversif irrécupérable, acteur en représentation mettant en scène le langage. Molière a écrit Don Juan quelque temps après l’interdiction de Tartuffe mais son Don Juan apparaît encore plus corrosif que Tartuffe. Tartuffe convoite les biens terrestres, en un sens Tartuffe, dans la société bourgeoise, est tout à fait récupérable mais Don Juan ne veut rien sinon jouir. Sa faiblesse semble de ne pas accepter qu’on lui résiste. Lorsque Don Juan rentre sur scène, son projet est de prendre le bateau pour se lancer à la recherche de la femme d’un couple dont il est dit que l’un et l’autre s’aiment. Il est en chasse et la résistance que lui oppose la proie, l’étourdie.

Dans le spectacle proposé, je n’ai pas eu le sentiment d’un Don Juan ivre, conquérant, généreux comme un enfant pur, comme un double profane de Jésus, qui se sent d’un cœur à aimer toute la terre et qui voudrait appartenir à toutes sans appartenir à aucune et sensuel, fantasmant, le sexe en érection à la pensée de cette proie qui lui résiste. Je n’ai pas vu un Don Juan pris dans le mouvement de la jouissance improductive, j’ai plutôt eu l’impression que la mise en scène a cherché à la mettre de côté, comme elle l’a fait avec le spectaculaire qui ne fait pas partie du projet de mise en scène. C’est évident dès la première scène. Dans une espèce de prologue Sganarelle fait l’apologie du tabac, il dit le plaisir qu’il procure et l’élan généreux vers l’autre qu’il déclenche. L’acteur qui joue Sganarelle à ce moment dénote l’apologie par une quinte de toux. Ce faisant donc, il nous ramène à la société de consommation capitaliste dans laquelle tout plaisir doit être capitalisable et non improductif, à la société basée sur l’épargne qui a peur de la mort, dans laquelle la santé est une ressource et qui nécessite par conséquent une politique de gestion. Dès la première scène ce qui dans Don Juan, peut nous paraître aujourd’hui subversif est commenté pour être intégré dans le flux discursif du pouvoir. Dès la première scène donc, le subversif dans Don Juan est domestiqué, tenu à l’écart pour apparaître dans la dernière image de la pièce : Sganarelle brandissant une croix et réclamant d’un regard menaçant ses gages, nous rappelant par ceci que dans les temps anciens, dans les religions polythéistes et les cultes ancestraux la relation entre les hommes et les dieux, ici-bas, est du type donnant-donnant et est objet de négociation. Sganarelle réclamant ses gages alors que Don Juan vient à peine de subir la justice divine met l’accent sur l’injustice du divin qui punit celui qui le sert, rappelle que le serviteur n’est pas dans une relation de soumission totale, qu’il peut aussi se transformer en juge (ce que Sganarelle ne manque pas de faire à l’égard de Don Juan qu’il juge mauvais, il le fait aussi à l’égard de Dieu). Évidemment, ce passage de Sganarelle réclamant ses gages a subi la censure. Molière n’a pas semble-t-il essayé de faire éditer Don Juan ni de la rejouer. On peut émettre l’hypothèse que Molière connaissait les limites et qu’il avait l’intelligence pour les entendre tout en jouant avec. Mais à l’époque, à l’intérieur des murailles du royaume, la figure de l’arbitre des limites était claire : c’était le Roi. Mais aujourd’hui, les murailles ont sauté – est-ce une bonne ou une mauvaise chose, qu’importe, chacun sa réponse – la figure de l’arbitre s’est brouillée, les perceptions des limites sont multiples et nul ne sait vraiment ce qui doit être et si tel était le cas qu’elle serait la portée de cette parole : globale ou locale ? Comment faire avec l’autre, cet étrange étranger qui ne voit pas le monde comme nous et ne pense pas comme nous ? Sommes-nous capables d’entendre lorsqu’il crie que nous le blessons ? Si nos valeurs sont absolues, si ses valeurs sont absolues et vu qu’il y a qu’une seule planète alors qu’allons nous faire ?

Charles Zindor

 

Dom Juan

De Molière
Mise en scène : Francis Azéma

Avec : Corinne Mariotto, Guillaume Destrem et Francis Azéma

 

Mis en ligne le 15 janvier 2015

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