FESTIVAL "LE BALCON DU CIEL" – NAX (Suisse)
(Crédit photos : The Decay Show - Louis Thomann)
La compagnie Interface a lancé cette année le premier festival international du Balcon du Ciel à Nax dans le Valais Suisse du 18 au 25 septembre.
Un festival original dans un lieu pour le moins très original
Dans la montagne sur un promontoire au dessus de la ville de Sion a été édifié un théatre aux parois de verre, quel site et quel théâtre !!! majestueux....
La volonté de son directeur artistique inscrit le festival dans l'échange et la transmission.
Mais aussi faire connaître la montagne et la faire apprécier
Au départ le lieu a été créé pour être un espace de liberté, les murs s'évaporent les choses et les êtres ne sont pas enfermés, ils sont libres. Ensuite André Pignat a voulu que qu'à partir de ce théâtre, lors du festival on puisse transmettre c'est ainsi que des conférences de Germaine Cousin ont permis de connaître la montagne et surtout ses plantes et leurs bienfaits. Germaine, une dame de 92 ans jeune comme un cabri, le verbe haut, l'humour au coin des lèvres; une femme qui a vécu une dure vie de labeur mais qui a gardé une fraicheur peu commune et un savoir immense.
Tous les soirs l'hypno-théâtre d' Eric Sam nous a entrainé dans les sphères des contes pour enfants en étant participants pour revivre ces contes, une expérience d'hypnose très curieuse qui montre combien la conscience humaine peut être guidée et faire sortir l'individu des barrières qu'il se construit.
Les après midi, de son côté, Lucy Hopkins a ouvert un atelier théâtre basé sur « comment rester libre et joyeux malgré toutes les règles sociales qui nous contraignent ». Un expérience théâtrale ludique se déroulant sur les gazons du Balcon dans une ambiance « très cool » comme le dit si souvent Lucy.
Enfin une série de spectacles d'horizons très variés allant de Mama Khan la mémoire du monde interprétée par Khadija El Mahdi la conteuse le 18. Le 19 c'était au tour de Les épis noirs qui apportaient une note de musique dans leur « romance sauvage », une référence dans le milieu du théâtre musical.
Le 20 à 19 h Juliette Morel, jeune danseuse est venue présenter son magnifique solo « Cassandre ».
Le même jour en soirée à 21h la compagnie interface a donné son spectacle « j'ai hâte d'aimer », un formidable et beau hymne à la vie.
Le 21 à 21h Le théatre du Balcon d'Avignon est venu présenter « J'ai soif » une mise en scène de serge Barbuccia à partir d'un texte de Primo Lévi et de la musique de Joseph Haydn interprétée par Roland Conil au piano.
Le 22 à 21h Le grand acteur français Michel Le Royer a joué avec merveille « et mon mal est délicieux » sur une mise en scène de Gérard Vantaggioli.
Le 23 à 21h Pascal Rousseau a présenté son spectacle de cirque rempli de poésie « ivre d'équilibre » et a terminé avec une salle debout pour l’acclamer.
Le 24 concert « avec des fourmis dans les mains » grand prix de l'académie Charles Cros
Et pour clôturer le 25 l'ancien danseur étoile de Béjart présentait sa chorégraphie « voulez vous danser Gainsbourg » et à 21h la compagnie Interface a joué avec brio « les hérétiques » sur le propos de l’inquisition au moyen âge mais qui replace cette idéologie dans notre temps.
Enfin André Pignat a annoncé la création d'une action qui va démarrer avec plusieurs partenaires , « la Green Mobility » pour que le Val d'Herens devienne lieu où l'on circule avec des véhicules à moteur électriques..Une belle démarche dont on souhaite voir le développement.
Ainsi le Balcon du ciel devient bien un espace de liberté et d'échange à en voir toutes les personnes qui une fois le spectacle fini se retrouvaient autour d'une verre dans une grande harmonie.
Un très beau festival qui laisse bien des étoiles et des lumières dans les têtes comme celles de la vallée qui montaient rejoindre le firmament.
Mama Khan au Balcon du Ciel
Une plongée dans l'âme du monde
Le Théâtre du Balcon du Ciel de Nax, dans le valais Suisse, faisait son festival international. Rencontre d'artistes de toutes disciplines et du public dans la montagne comme écrin, comme lieu de ressources pour un mieux être.
En ouverture, après un spectacle d'hypno-théâtre d'Eric Sam assez déroutant, où les spectateurs montés sur scène se prêtaient au récit de l'hypnotiseur en investissant des personnages issus des contes de notre enfance...
Puis Khadija el Mahdi, une conteuse, nous a littéralement emporté dans son récit initiatique.
D'origine berbère, ayant vécu en France sans avoir connu ses grands parents, elle est allé chercher la mémoire des peuples indiens les Lakota du Dakota du Sud.
Comme un retour vers un passé inconnu mais si proche.
Elle entre en scène regarde les spectateurs avec un large sourire et endosse son personnage en enfilant ses vêtements et son masque, un magnifique masque, celui de Mama Khan, une mère originelle, une vieille femme porteuse de la mémoire du monde, celle qui sait tout, qui nous connait tous, qui a réponse à tout.
Dans une atmosphère de comptines et de musiques indienne elle nous embarque sur son dos comme elle le fut sur celui de la mère terre.
Le récit se déroule sur un fil, nous déroute parfois, nous porte, nous perd et nous rattrape.
Une grande présence, occupant tout l'espace. Seule, elle arrive à capter notre attention sans nous relâcher une seconde, maintenant sans cesse le lien ininterrompu du récit, de ce récit issus de temps si lointains et si présents à la fois.
Un tambour, une flute, les notes et les rythmes s'élèvent pour nous porter avec magie, avec toute la délicatesse des êtres chers.
Khadija el Mahdi a une grâce, une fluidité naturelle, une ampleur dans ses mouvements, toute la scène lui appartient et elle peut nous guider dans le flot de ses mots avec une belle maitrise. On la suit sans peine. Une conteuse d'exception.
« Cassandre » ...un être en lutte permanente,vouée à une errance perpétuelle
Incarnée par Juliette Morel dans une remarquable précision.
En Suisse, dans le Valais, la Compagnie Interface a invité dans son théatre le Balcon du Ciel, ouvert sur le monde à tous les sens du terme, la chorégraphe Juliette Morel.
Dans la mythologie Cassandre, c'est l' histoire de la souffrance d'une femme et de son combat. Elle avait reçu d’Apollon le don de prédiction,, mais comme elle s'était refusée à lui, ses prophéties ne seront jamais crues. Elle est alors condamnée à devoir garder en elle à jamais ce qu'elle sait, et donc à être isolée de la société. Elle est comme dans une ville aveugle.
On assiste alors à cette errance de Cassandre, errance symbolisée par sa danse et « surlignée » telle une anaphore dans la video .
Dans l’extrême souffrance qu'elle porte en elle, matérialisée par ses postures, elle se fuit elle-même. Elle va quitter sa robe, se libérant de son statut. Mais perd-elle ses dons ??? Elle est comme un être fragile que rien ne protège, t soumise aux forces extérieures, seule dans sa tourmente. Absolument seule.
Une danseuse d'une grâce infinie, une chorégraphe qui subjugue, une finesse extrême, une beauté éblouissante .
Dans un dépouillement maximal elle est sans cesse dans les limites de l'équilibre, à la lisière de la chute. Son corps est en suspens, retenu, les gestes sont précis. Elle allie délicatesse et technique laissant le public suspendu au bout de ses doigts.
Que de vivacité, que d'énergie, que d'adresse...quelle Cassandre admirable.
Juliette Morel est secondée par Alain Collet qui propose des lumières délicates, essentielles. André Pignat les a reprises avec justesse dans ce théâtre. Les videos de Nicolas Bonilauri illustrent et soulignent la danse en complète harmonie.
Un magnifique travail qui nous laisse un instant désemparés, béats d'admiration.Une extraordinaire artiste dont l'expression atteint des limites insoupçonnées qui nous portent sur des rives singulières.
A voir et revoir encore, on ne se lasse pas.
Interface dans son fief pour une représentation d'un « J'ai hâte d'aimer » d’exception.
L'amour comme socle de la vie, une magnifique interprétation..
« J'ai hâte d'aimer », une ode à l'amour, comme une quête universelle, une tragédie sans fin.
La pièce débute par le premier texte, une histoire d'amour entre trois bisons et une chauve souris, amour impossible qui dévoile la fragilité des êtres, mais malgré cela un des bisons va pouvoir mener cette liaison à son terme, pousser l'amour dans ses retranchements.
Les choses s'enchaînent, si la vie est bien un moteur de l'amour, l'amour est bien « un fouteur de merde » comme le dit si abruptement André Pignat. L'amour c'est le aussi le moment où tout peut se réaliser, c'est ce moment où nous créons notre réalité. Si nos peurs restent bien réelles, nos rêves peuvent alors porter nos vies et nous élever vers un autre ailleurs.
La symbiose entre les textes élégants de Francis Lalanne et les chorégraphies subtiles de Géraldine Lonfat donne une pièce d'une grande densité sous les puissantes musiques d'André Pignat.
Quelle musique !!!! une vitalité , un élan, support d'une danse effrénée, d'une communion.
Les danseurs-comédiens-chanteurs volent aux quatre coins de la scène et la musique emplit nos poumons de toutes de ces sonorités qui nous évoquent les pays de l'Est.
Une harmonie ultime se fait dans ce théâtre si original que celui du Balcon du Ciel où vers la fin le chamane arrive, incarné par Francis Lalanne, porteur de rêves, d'espoirs, homme d'esprit.
Pour clôturer le spectacle, le théâtre s'ouvre sur la nature et les lumières des villes qui montent de la vallée laissant entrer un magnifique cheval sur la scène, grandiose vision. Qui matérialise les souhaits d'André Pignat : que le théâtre soit ouvert pour que la liberté soit acquise.
On a vécu un moment exceptionnel.....
Cette pièce fait partie de la pentalogie « Les âges de la vie » et en constitue le deuxième volet.
Comme chaque fois chez Interface, il s'agit d'un totale harmonie, les arts se mêlent se confondent, se répondent. Appel à tous les sens, mais aussi réflexion posée sur notre monde en décrépitude.
On aime la grâce de Géraldine, son énergie et son souffle ponctués par une musique puissante qui englobe toute la création, qui la porte.
Francis Lalanne est là bien présent adopté et heureux au milieu de cette troupe dont il devient un des maillons.
Un spectacle à voir et revoir qui va partir en tournée à travers le monde.
« J'ai soif » présenté par Serge Barbuccia.
Un très beau spectacle pour une si horrible histoire.
Sur un plateau, d'immenses feuilles blanches se courent après, tant au sol que sur les murs. Elles cherchent à échapper à on ne sait qui et on ne sait quoi, posant déjà le questionnement du récit. Un piano est placé dans le fond et un homme est en marche. D' une démarche très lente, celle d'un homme épuisé. Les pages s'éclairent , les notes s’égrènent et l'homme parle. Récit d'un juif, Primo Lévi, qui revient des camps de la mort, il a vécu et survécu à l’innommable.
À partir du texte de Primo Levi « Si c'est un homme » et de l'oratorio «Les Sept Dernières Paroles du Christ en Croix » commandé à Joseph Haydn pour la semaine sainte, Serge Barbuccia a créé un spectacle d'une intensité remarquable, dans la sobriété et la pureté. Rencontre insolite de deux univers si proches.
Paroles d'un homme qui a subi l'impensable, qui a été traité comme inexistant, qui a survécu au pire, qui a du faire comme si cela n'avait pas existé.Il a vécu une mort lente, une tentative d'effacement physique inimaginable , l'humiliation morale, le déni de l'être, le retour au néant.
Dans cette pièce tout est malheureusement beau, d'une beauté déchirante, qui nous pousse au fond de nous même, qui arrache nos larmes.
Sylvie Kajman a illustré cette pièce d'acryliques où des personnages aux regards perdus nous plongent dans un univers que l'on aurait tant aimé qu'il n'exista pas.
Les notes interprétées par Roland Conil apportent un dédoublement de récit, une fuite parfois, une échappatoire aussi, une respiration salutaire.
Serge Barbuccia est sobre, là, juste comme il faut , tout en retenue, en émotion à la lisière des larmes .
Une pièce bouleversante montée et interprétée avec justesse.
Et mon mal est délicieux
Une belle adaptation du livre de Michel Quint par Laurence Werlé
Dans la cour de la Chartreuse de Villeneuve les Avignon un jeune auteur en résidence interprété par Adrien James, cueille une pousse de jasmin, arrive un monsieur âgé appuyé sur sa canne, la vue de ce geste lui remet en mémoire son passé. Il va raconter sa vie, son amour pour une belle immigrée venue d'Espagne, Luz.
C'est l'histoire entre Max le fils du juge juif dont les parents seront arrêtés pendant la guerre lors d'une rafle et Luz. Il sera sauvé par la tante de Luz qui va le cacher et l'héberger. Se mêlent les souvenirs d'une époque, celle de la guerre et de l'après guerre, du théatre et des acteurs sur le fond de cette histoire d'amour.
C'est aussi l'évocation de grands personnages de la scène au milieu de cet amour impossible entre deux êtres, lui le fils de bourgeois et elle la fille vivant dans la misère. Mais Luz est subjuguée par « le Cid » . un jour elle a aperçu Gérard, ils se sont donné la réplique. Elle ne vit que pour vivre l'amour de Rodrigue et de Chimène. Gérard lui a promis de revenir jouer la pièce. Enfin un soir lors d'une représentation elle pourra de son fauteuil roulant en 1951 enfin dire le rôle de Chimène quand Gérard Philippe interprètera le Cid dans la cour d'honneur en Avignon.
Elle est malheureusement atteinte d'une maladie dégénérative et son corps se paralyse, Max va s'occuper d'elle sans cesse, par amour il va consacrer sa vie à cette femme qui se meurt dans une quête impossible. Il va lui faire croire qu'il est devenu comédien et qu'il rencontre Gérard Philippe.
Michel le Royer incarne ce monsieur avec un brio remarquable, lui l'ancien jeune premier qui jouait les personnages de cape et d'épée, parcourant les scènes avec une vivacité admirable, lui le Chevalier rouge de la série télévisuelle, l'ancien sociétaire de la comédie française, le général La Fayette, il est devenu un monsieur posé au geste lent mais dont la voix porte en elle une beauté remarquable, des tonalités qui nous émerveillent.
Quel bel homme, quelle grâce.
Gérard Ventagioli assure une mise en scène très sobre, laissant au comédien toute la place, mais ajoutant une petite scène filmée où une belle jeune fille se promène dans les rues de la Chartreuse.
Une pièce très attachante avec un Michel le Royer au mieux de sa forme.
Là où tout est possible, où rêves, contes rejoignent la réalité
L'Hypno-théâtre d'Eric Sam.
Les magiciens nous entrainent dans un univers où tout est possible, les cartes apparaissent ,disparaissent ,reviennent au gré de leurs désirs, plus rien n'a de réalité...mais en allant plus loin on peut alors perdre le contrôle et devenir autre sous la pulsion d'un hypnotiseur.
La perte de ses blocages, le laisser aller, le lâcher prise, devenir autre, s'évader. On fait ce que demande le maitre du jeu mais on peut stopper à tout moment, la conscience veille.
Alors on peut partir dans bien des rêves et se laisser aller à vivre des expériences inouïes.
Eric Sam veut montrer au travers de son spectacle d' hypno -théâtre que l'homme a des ressources infinies, il fait revivre alors aux spectateurs les contes de leur enfance, les personnages des bandes dessinées...tout devient possible avec cet état d'hypnose, tout devient facile.
On perd la parole, on perd l'usage de ses jambes, on devient chapardeur, magicien, Harry Potter... la liste peut être longue puisque tout est possible
Durant plusieurs soirées bien des gens ont pu expérimenter cet état où l’on perd le contrôle de soi sous les yeux ébahis des spectateurs. Il a reconstruit Lewis Carroll et les personnages d'Alice au pays des merveilles , les contes d'Andersen avec la petite sirène , blanche neige et une foule de personnages.
Des spectateurs sont montés sur scène, et chacun a pu entrer sans difficultés dans ces personnages et jouer le jeu proposé..
Quel étonnant voyage en fait...quelle plongée dans l'aventure humaine ; dans les renfoncement des êtres, on s'oublie pour devenir autre le temps d'un instant. C'est curieux, déroutant.
Eric Sam est assurément un manipulateur de talent.
La comédienne anglaise Lucy Hopkins animait un stage de clown
Pousser l'être dans ses retranchements
Lucy Hopkins, c'est une belle énergie qui bondit sans cesse et rebondit dans un sourire éclatant illuminant son visage.
Formée en France par l'école Lecoq et Philippe Gaulier elle proposait au festival d'Avignon un spectacle de full art interprétant le rôle d'une idiote pleine d'amour.
Très vive tant physiquement qu'intellectuellement elle nous entraine au fin fond de nous même.
Lucy Hopkings ne se prend pas au sérieux, elle a l'humour aux yeux et aux lèvres, elle promène sa dégaine semant des rires et des sourires derrière elle.
Lors de son stage, elle propose des exercices apparement anodins, des situations très simples, des jeux enfantins qui concourent tous à mettre en scène l'individu dans la société, à sa place face aux consignes , aux ordres, aux règles. Il y a fort à faire car la société se nourrit de ces consignes et de ces règles. On est envahi, inondé mais on survit. Elle va donc derrière ces jeux anodins nous faire vivre des situations où nous devrons nous libérer de ces contraintes.
Sur les pelouses naturelles au bord d'un étang avec la complicité d'un bon soleil d'automne ,nous avons pu chercher les fuites nécessaires, les bienveillances existantes.
Lucy a une aisance corporelle, une vivacité qui la caractérise des pieds à la pointe de ses cheveux et surtout un sourire immense qui irradie autour d'elle. Alors les stagiaires suivaient ses consignes pour se libérer des règles, pas facile et pourtant tout se déroulait sans encombre car sans y penser, sans se connecter au thème de départ. Là était le secret car elle guidait donnait des directions pour se libérer des contraintes..Les participants avaient oublié le point de départ, ils vivaient les consignes alors qu’elle voulait montrer qu'il faut s'en libérer et elle y parvenait à l' insu des individus. Donner des consignes pour se libérer des consignes là était la solution du problème.
Les stagiaires sont venus et revenus lors des différentes cessions pour profiter de ces instants un peu magiques en sa compagnie.
Ivre d'équilibre, un spectacle en totale harmonie avec le Balcon du ciel
D'une rare beauté et d'une remarquable précision.
« Ici, être, se tenir, faire le grand vide à l'extrême au bout de soi. Là où la beauté se souvient d'avoir été au commencement là où le bout du monde se vide et devient battement » ces mots issus du spectacle de Pascal Rousseau « Ivre d'équilibre » reflètent bien tout sa représentation.
Imaginez, une scène.... dans l'obscurité, arrive une charrette tirée par deux hommes dans un halo de fumée bleue. Le lieu s'éclaire, chacun s'affaire, l'un part vers un piano, l'autre tournoie et peu à peu tout prend vie, les notes s’égrènent, Eric Bono habille les gestes de ses musiques inspirées d'horizons divers dans une harmonie à la mesure de la précision des gestes. Pascal Rousseau raconte son enfance, son grand père s'affronter à l'impossible « lorsque tu es en haut de la montagne continue de monter » lui disait il. Et lui monte sans cesse , se met en péril, recherche les pires difficultés dans une aisance admirable, les muscles saillants, les mots aux lèvres il s'élève.
Tout au long de son combat contre le déséquilibre, chaque instant frôlant la chute il dit un magnifique texte d'Anne de Comines où il se raconte.
La mise ne scène d'Eric Bouvron dont on apprécie chaque fois l'intelligence et l'habileté dans son travail donne une dimension magique à ce spectacle total.
Et les musique d'Eric Bono avec ses mots qui n'existent pas, ses rythmes et ses sons inspirés du monde entier, parfois celtes, parfois africains , les extrêmes s'étirent pour laisser place à un halo dans lequel Pascal Rousseau pose ses gestes dans une grâce absolue.
Tout le spectacle se déroule avec la participation du public, en communion dans un silence absolu, du regard, il va faire venir des spectateurs pour l'aider, tenir un poteau qu'il tiendra en équilibre, porter une planche sur laquelle il va monter, tendre une corde sur laquelle il va marcher....mais par ces moments là il intègre ceux qui le regarde à son jeu, il n'est plus seul , on est tous là dans une communion à la lisière de l'impossible.
Spectacle d'un pure beauté, frissons et grâce, mots et sons tout concours à un moment d'exception. Une fois les lumières éteintes ce fut un tonnerre d' applaudissement, tous les spectateurs se sont levés les yeux humides...personne ne voulait que les choses s'arrêtent ...instant prodigieux.
« Les hérétiques » un spectacle sur les sorcières et l'inquisition qui nous plonge dans une actualité brûlante.
En clôture du festival du Balcon du Ciel par Interface
Derrière des grilles, deux inquisiteurs, interprétés par Paul Patin et Thomas Laubacher, plus loin dans le fond, Marie Madeleine Pazzi incarnée par Daphné Rhéa Pelissier et au centre la sorcière Géraldine Lonfat.
Marie Madeleine Pazzi issue d'une grande famille florentine est une sainte béatifiée peu après sa mort tant sa vie fut exemplaire dans la religion catholique.Nous sommes à la fin du Moyen Age dans cette période marquée entre autre par l'Inquisition. Dans une prison, une femme est accusée de sorcellerie, elle subit alors bien des tourments et bien des souffrances. La femme crie son innocence, mais plus elle démontre qu'elle n'est pas une sorcière , plus les inquisiteurs s'en servent pour prouver ce qu'ils affirment, qu'elle est possédée du démon. La boucle est vite bouclée, l'issue certaine.
On retrouve ce propos en fait dans notre époque avec les affirmations des islamistes, avec les tenants de nos idéologies, avec nos démocraties qui sous l'affirmation de la défense de l'être envoient des bombes sur les têtes des innocents.
Interface a encore créé un spectacle total où les musiques d'André Pignat, sa mise en scène, la chorégraphie et la danse de Géraldine Lonfat, le jeu des comédiens tressent un récit très violent où se heurtent convictions, réalités, pensées généreuses et absurdité d'ordres établis .
Dans cette violence verbale, la musique envoutante, la danse est là comme la fuite d'un monde impossible à vivre, elle se déchire aux mots, se heurte aux évidence, s'envole pour tenter de survivre. Géraldine Lonfat avec toute la grâce qui la caractérise nous emmène dans sa souffrance.
Mais les mots sont toujours là dans leur barbarie extrême, pourtant proférés par des religieux , des garants de l'humanité. C'est là, la gravité de la situation, ce sont ceux qui devraient protéger les peuples qui les détruisent . C'était la fin d'un monde, mais la barbarie est pourtant toujours là des siècles plus tard.
Avec Interface ce ne sont pas seulement des mots, des pas et des musiques, c'est un esprit, une affirmation, une prise de position.
D'ailleurs ce spectacle clôturait le festival du Balcon du Ciel et s'ouvrait sur la perspective d'une action basée sur l'écologie « green mobility », avec plusieurs partenaires pour faire en sorte que dans cette vallée on n'utilise entre autres, que les véhicules électriques. Beau projet .
« Voulez vous danser Gainsbourg »
Une superbe évocation par la compagnie Octavio de la Rosa
Octavio de la Rosa a dansé de 2000 à 2008 pour Maurice Béjart, ce fut son dernier danseur étoile. Puis il a créé sa Compagnie à Lausanne.
En 2009, il a rencontré Jane Birkin à Genève. Il lui a montré le projet de cette chorégraphie, elle fut séduite et elle a alors présenté le dossier à la fondation des héritiers de Serge Gainsbourg qui lui a accordé à ce moment là les droits d’adaptation.
Dans cette pièce, il retrace tout l’univers de Gainsbourg, cet amoureux des femmes, ce trublion, en passant par Gainsbarre et ses excès perpétuels. Toute la force du danseur étoile de Béjart est là dans cette création «gainsbourienne» mais il ouvre aussi en même temps son cœur et raconte sa propre histoire avec celle de Gainsbourg.
Octavio avait découvert Gainsbourg à son arrivée en Suisse lorsqu'il a intégré le ballet de Béjart. Il ne parlait pas le français à cette époque mais il avait cependant appris par cœur le texte du "Poinçonneur des lilas". Il était aussi fasciné par le rythme, de cette chanson, il y retrouvait des souvenirs de son enfance en Argentine où travestis, homosexuels et prostituées s'affichaient . Ce qui a attiré d'emblée Octavio, c'est cette façon si simple qu'avait le chanteur de parler de ce qui dérange sans aucun tabou, sans retenue.
Les mots sont murmurés, la chorégraphie les envole dans une quête de l'amour, thème récurent d'Octavio dans ses chorégraphies.
On est loin d'un ballet classique, les tableaux sont sensuels, la passion affleure. Quelques images déchirées, quelques pétales de roses nous entrainent dans l'univers de Gainsbourg dans une force brute émanent d'Octavio ponctuée par la douceur et la langueur des deux danseuses qui l'accompagne.
Un travail précis et délicat qui illustre à merveille les mots et les musiques du chanteur disparu.
Jean-Michel Gautier
Mis en ligne le 28 septembre 2016