COMMENT RETENIR SA RESPIRATION

La mousson d’été 2016

Rencontres théâtrales internationales

Abbaye des Prémontrés

Pont-à-Mousson

Lecture du vendredi 26 août 2016 à 20h45

 

loupe 

À partir d’un fil singulier, personnel, authentique, Zinnie Harris, autrice anglo-saxonne, tisse une histoire qui met à jour la vanité de tout ce qui se présente comme ordre établi, concret. Il y a dans la construction de sa pièce une sorte de maladie contagieuse qui se développe à partir de son personnage principal Dana pour envahir le monde et y bouleverser l’ordre et les contrôles.

Dana est une femme totalement intégrée au système économique totalitaire de la mondialisation. Chercheuse berlinoise sur la recherche de clients pour les entreprises, elle rencontre un soir, l’amour. Mais l’amour ne la rencontre pas. L’homme dont elle s’éprend est le démon. Il la traite en putain, c'est-à-dire qu’il signe un contrat avec elle, une relation tarifée, qu’elle refuse. Et soudain, nous voilà dans la fable économico-sentimentale.

C’est alors que commence la course poursuite qui va leur faire traverse l’Europe et le temps. C’est ainsi que de cette fêlure initiale, toutes les perspectives de l’ordre actuelles vont être ébranlées et que l’Europe sombre soudain dans un gouffre et que les flux s’inversent et que les migrants se précipitent alors par-dessus la méditerranée dans l’autre sens.

Dans ce texte, Zinnie Harris ramasse en sa main le mythe de Faust, l’arrogance du vieux monde sur le nouveau, la crise financière de 2008, la catastrophe humaine de nos jours, l’ONU, les traversées aléatoires… elle secoue le tout et lance tous ces éléments sur le plateau comme un chaman jette ses amulettes, pour y voir un peu clair, peut-être pour y lire l’avenir.

Cela donne un cocktail vif et acide, avec des personnages nourris au romanesque, des soliloques parfois enfantins, parfois avides de tragédie. Une sorte de vaudeville politique à taille humaine. Mais la grande qualité du texte est cette tenue jusqu’au bout de cette distorsion nécessaire qu’est le point de vue le plus strict du personnage principal. Et c’est grâce à cette exigence que l’on ne doute pas une seule seconde des événements parfois invraisemblables qui surviennent.

Michel Didym a su insuffler le rythme nécessaire pour que l’on passe en un rien de temps d’un lieu d’action à l’autre, d’une temporalité à une autre : un court déplacement, un changement de lumière, une sortie ou une entrée sur le plateau suffisent. Il a su également mettre à profit une sorte de jeu ludique qui se moque du crédible (avec l’apparition récurrente du bibliothécaire).

L’ironie et le drame sont là ensemble dans cette hypothèse en forme d’épopée et d’imaginaire fiévreux et inquiet. Car il s’agit ici de brandir cet éphémère fragile qu’on appelle la vie. Sous la carapace ultra solide, sophistiquée, lisse du corps ou de l’esprit, la fragilité se révèle à chaque souffle.

De même le monde tel qu’il s’affiche dans ses certitudes est une apparition friable fait de sable, de poussière et d’éphémère. Voici la mise en garde, le temps ne se fige pas et les citadelles du pouvoir peuvent s’écrouler en emportant tout dans leurs chutes.

Bruno Fougniès

 

Comment retenir sa respiration

De Zinnie Harris (Royaume-Uni)
Texte français de Blandine Pélissier
Lecture dirigée par Michel Didym
Musique Philippe Thibault

Avec

Quentin Baillot, Anne Benoit, Ariane Von Berendt, Marie Desgranges, Guillaume Durieux, Grégoire Lagrange, Céline Milliat-Baumgartner et Frédéric Sonntag

 

Mis en ligne le 5 septembre 2016