LE RÊVE D’UN HOMME RIDICULE
THÉÂTRE DE L'ÉTINCELLE
14, place des études
84000 - Avignon
du 5 au 16 juillet à 17h25
Vu au théâtre Montparnasse
C’est d’une nouvelle assez courte de Fiodor Dostoïevski que Jean-Paul Sermadiras à tiré le texte de ce spectacle. Un nouvelle assez unique pour cet auteur, dans sa forme, car il s’agit d’un récit fantastique comme l’indique le sous-titre. L’histoire commence pourtant dans un réalisme fort quoique teinté de bizarrerie, un peu dans l’esprit d’un autre grand auteur russe : Gogol. Le narrateur est en effet assez particulier puisqu’il se qualifie lui-même de ridicule. Ridicule depuis toujours. Ridicule aux yeux des autres mais également à se propres yeux. On ne saura pourtant pas en quoi ce ridicule consiste, mais peu importe. L’adresse directe au public et l’aveu fait presque sans sourciller de cette malédiction suffit à camper un personnage peu orthodoxe. Un être fatalement à part, tenu à l’écart des autres, sorte d’inadapté à la société. Un solitaire qui envisage avec lucidité son suicide : tout impatient qu’il est de faire disparaître d’une balle logée dans son cerveau, le monde, la vie et surtout tous ces gens qu’il ne supporte que contraint et forcé ?
Or, le hasard d’une rencontre (une fillette qui l’apitoie un soir triste dans la rue), rencontre suivie d’un rêve étrange, sorte de vision prémonitoire, spatiale, un voyage onirique lui fait changer son projet d’en finir ainsi que toute la conception qu’il s’était faite de la vie.
Jean-Paul Sermadiras incarne avec énergie et sensualité ce personnage visionnaire. Dans une sobriété scénographique totale et un jeu de lumières et de projection suggestif, c’est l’acteur et sa force d’invocation qui seuls portent l’illusion. Et l’on se promène avec lui, au fil de se narration, dans ce rêve d’un au-delà calqué sur le paradis terrestre qui se transforme assez vite en monde défiguré par toutes les perversions humaines.
La partie mystique de l’œuvre peut laisser un peu sceptique, ainsi que les peintures naïves de ces visions d’un monde idyllique où l’homme serait bon pour lui-même et pour le monde qui l’entoure, mais le comédien assume tout avec talent, convaincant, bien aidé en cela par son timbre de voix envoûtant et sa prestance.
Dostoïevski a été rarement si clair dans la foi qui habitait ses pensées. Il fait prendre ici conscience à un homme donné pour ridicule pour ses certitudes, son orgueil et son esprit cartésien, de l’existence d’une autre vie possible. Ainsi, après un début comique, le récit passe à quelque chose de totalement différent et notre héros devient in fine une sorte de prophète courant le monde en racontant son rêve merveilleux, porteur de la bonne parole, ayant mis un terme définitif à ses désirs morbides. L’extase mystique toute proche comme seul espoir final pour sauver l’individu de la corruption.
Bruno Fougniès
Le Rêve d’un homme ridicule
De Fiodor Dostoïevski
Traduction André Markowicz
Adaptation et interprétation Jean-Paul Sermadiras
Mise en scène Olivier Ythier
Collaboration artistique Gilles DAVID, sociétaire de la Comédie-Française
Scénographie et lumières Jean-Luc Chanonat
Création sonore Pascale Salkin
Costumes Cidalia da Costa
Avec Jean-Paul Sermadiras
Mis en ligne le 2 juillet 2019