68 MON AMOUR
La Croisée des Chemins Avignon
Salle Côté Cour
25, rue d'Amphoux
84000 – Avignon
+33 (0)7 84 40 78 67
à 15h15
du 5 au 28 juillet
Relâches : 8, 15, 22 juillet
Mai 68 : les fameux événements dont nous avons fêté le quarantième anniversaire l’an dernier, un mouvement qui ne laisse personne indifférent. Il y a d’un côté ceux qui l’ont vécu, ceux qui étaient trop jeunes ou pas nés ; ceux qui « ont fait mai 68 », de l’autre ceux s’y sont refusés. Mais comme sur tous les faits marquants, chacun a sa petite idée !
Quoi qu’il en soit, nous prévient d’emblée le jeune acteur Ludovic Salvador qui durant une heure fera revivre la jeunesse de l’auteur, Roger Lombardot, 1968 ne saurait se réduire aux barricades, aux pavés et aux voitures incendiées.
1968, c’est tout d’abord une rupture avec l’ordre existant. Un monde où sa mère se crève à l’usine dans laquelle son père est mort ; un monde de zombies, de morts-vivants engagés dans une danse macabre, étrangers à la vie ; un monde dans lequel les dimanches ne servent qu’à oublier les vicissitudes de la semaine et reconstituer la force de travail.
Ludovic-Roger, comme des millions de jeunes de son époque, vit 68 comme une secousse, et plus encore un véritable séisme. Il s’agit de briser la chaîne maléfique de l’asservissement et d’offrir « une sorte de réponse spirituelle et collective aux millions d’êtres exterminés dans les camps de concentration. » Il sent alors la vie s’engouffrer dans tous ses canaux. C’est une telle, une si intense célébration de l’amour, de la liberté, de la paix, de la joie !
Avec une révolution du langage tout d’abord : l’invention d’un verbe neuf, destiné à investir tout le champ des possibles, la création de cercles de discussion. Enfin penser par soi-même et s’affranchir des discours oppressifs. !
Avec par ailleurs une révolution des mœurs et des retrouvailles fécondes avec le corps. On apprend à se reconnaître, se caresser, s’apprivoiser ; passer d’un corps à l’autre dans un moment unique de grande tendresse, non pas dans une bacchanale, mais plutôt une ronde enfantine. « Faites l’amour pas la guerre » ; « Vivez sans temps mort, jouissez sans entrave ! » C’est l’amour dans la nature, en plein soleil, ce qui aurait été inconcevable auparavant. C’est un retour à « l’origine du monde », alors que l’on avait si longtemps fait croire que le sexe de la femme était chose infâme. Ludovic-Roger nous parle de « la vulve comme jardin de la vie, chemin de lumière qui nous relie à l’univers. » Il devient dès lors possible de sentir battre le cœur du monde, se fondre au sein d’une chaîne universelle et par là même se régénérer, dans une véritable ode à la joie.
C’est dans ce contexte-là, cette effervescence que Ludovic-Roger rencontre celle qui allait devenir sa femme, et avec laquelle il vit toujours aujourd’hui. Ce texte est donc également le récit d’un amour puissant. Comme quoi !
Mais l’après 68 est pour l’auteur le temps de la désillusion. Il se plonge dans le travail, endosse un costume-cravate, alors que les luttes de pouvoir reprennent, et avec elles les appétits de domination. Le travail comme « pire manière de célébrer la vie et gaspillage d’un temps si précieux ! » Ce monde n’étant donc pas fait pour lui, il troque son costume- cravate contre des cheveux longs, et part sur les routes, comme bon nombre de jeunes décidés à se rapprocher de la vie. Et Ludovic-Roger s’installe en Ardèche où il vit toujours et cultive l’art des mots.
Une fois sorti du théâtre et regagné la rue d’Amphoux, ce spectacle nous amène à réfléchir. Le message d’amour, de liberté, de joie, de paix délivré par les événements de 68, tels qu’ils sont retracés dans ce texte, présente un tel contraste avec notre société de consommation où la compétition règne à outrance, où le langage se réduit à des borborygmes ou des automatismes.
Et si le bonheur se trouvait dans la recherche spirituelle permettant de se sentir en adéquation avec l’univers ; dans la non possession mais la jouissance de l’immensité terrestre ; et si le bonheur se trouvait dans les illuminations poétiques du Verbe ; sur la route, tels des conquérants de l’impossible, devenu, peut-être, un jour, enfin réalité…
1968 Mon Amour :
C’est un beau texte, à la fois poétique et philosophique, d’une grande sensibilité et sans nostalgie, de Roger Lombardot ; une interprétation subtile, d’une grande douceur, mais non sans enthousiasme de Ludovic Salvador ; le choix judicieux fait par Chantal Péninon d’une mise en scène sobre, presque invisible avec un jeu de lumière astucieux et pour seul décor une chaise.
Un spectacle que je vous conseille vivement.
Fabrice Glockner
68 Mon Amour
Auteur : Roger Lombardot
Metteuse en scène : Chantal Péninon
Avec : Ludovic Salvador
Régisseuse : Chantal Péninon
Mis en ligne le 14 juillet 2019