TON BEAU CAPITAINE

11 Gilgamesh
11 bvd Raspail
84000 Avignon

À 20h45
Jusqu’au 27 juillet
relâche le 25

 

Ton beau capitaine loupe 

Aux bords des rues, des routes. Sur certains chantiers. Beaucoup de chantiers en Europe et ailleurs. Des cubes en plastique contraint et armatures en fer. Grand comme ces containers qui traversent les océans chargés de marchandises. Des cubes qui restent là le temps que le bâtiment s’élève. On les appelle des ALGECO. Y logent des ouvriers. Le plus souvent immigrés. Main-d’œuvre docile des gros bétonneurs.

C’est dans un de ces ALGECO aux allures d’abri de fortune que réside Willnor, exilé loin de son pays, de sa famille, de sa femme, venu en Europe pour y construire un avenir meilleur pour lui, sa famille, sa femme et réaliser leurs rêves. Des rêves juste raisonnables. Pouvoir posséder une vache. Peut-être deux cabris ? Avoir de quoi construire une véranda derrière la maison. Y voir les soirs étoiler le ciel, y peser l’écoulement du temps et tresser la toile de leurs souvenirs dans le bonheur d’être ensemble.

Nous sommes dans les années 80 et ce sont quelques années et 7000 km qui le séparent de celle qu’il aime et de tous ceux qui compte. Et des semaines, des mois sans nouvelles, à mettre chaque sou de côté pour l’envoyer au pays, et continuer de construire ce rêve d’avenir. L’histoire de centaines milliers d’hommes depuis que l’ère industrielle réclame des mains prêtes à tout.

Des existences qui s’éclipsent pour un avenir auquel tout est sacrifié : le présent, le confort, l’abondance, les distractions, les plaisirs. Pour Willnor, il n’existe qu’un seul moment d’existence de temps en temps. La voix de sa femme, Marie-Ange, arrive par la poste dans une cassette audio, qu’il écoute, réécoute, collectionne comme d’autres accumulent album photo et souvenirs vécus.

Sa vie est toute là, dans un meuble, des dizaines de boitiers rangés sous le lecteur de K7, dans ce dialogue lent et économe avec Marie-Ange, le temps que la voix traverse les 7000 km qui les séparent. C’est la distance et le temps, le temps de la séparation, la séparation des vies rongées par l’âge qui s’avance, que le texte de Simone Schwarz Bart explore et décline. Car on ne peut pas éternellement cloitrer les sens, les corps et les désirs pour un avenir qui ne cesse de s’éloigner chaque jour.

Une dérive des sentiments parallèle à la dérive des continents, en plus rapide, à temporalité humaine. Et les cœurs de ceux qui sont loin l’un de l’autre se déchirent lentement, de cette lenteur qui habitue à la douleur, jusqu’à ne plus savoir comment et où se retrouver.

Avec cet échange de lettres audio, la mise en scène de Maud Galet Lalande nous offre la chance de surprendre Willnor vivant, l’esprit et le cœur palpitant dans le grand écart entre son pays d’origine et l’Europe. Soudain, les parois de l’ALGECO deviennent apparitions de Marie-Ange, et le dialogue entre continent naît. Le dialogue entre homme et femme. Et le drame amoureux qui anéantit soudain tous ces sacrifices, et le rêve.

La danse, les projections belles et totalement incluses dans l’histoire, et le jeu des deux interprètes, Mariam Dembele en vidéo, superbe de présence à en devenir par moment presque réelle et Lamine Diarra en chair et en os dans une très intense incarnation, forte, expressive, font de ce spectacle un moment fort et pur avec de belles jolies flèches d’humour qui touchent juste.

Pour qu’enfin l’on respecte le humains, leurs valeurs, leurs sentiments, aussi vitaux que l’eau, l’air et l’ivresse.

Bruno Fougniès

 

Ton beau capitaine

de Simone Schwarz Bart
Metteuse en scène : Maud Galet Lalande
Chorégraphe : Joseph Aka
Musique : Mélanie Gerber
Vidéo, scéno : Nicolas Helle
Lumière : Vincent Urbani

Avec : Lamine Diarra, Mariam Dembele

 

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Mis en ligne le 23 juillet 2018