L’HERBE DE L'OUBLI

Théâtre des Doms

à 17h

du 6 au 26 juillet
relâches le 18 

 

L’Herbe de l'oubli loupe 

Trente ans après la catastrophe de Tchernobyl, le pourtour de la zone interdite s’est depuis longtemps repeuplé. Après avoir été forcé de quitter leurs villages que les autorités soviétiques ont enterrés pour tenter d’éradiquer la dispersion de la radioactivité mais aussi empêcher le retour des habitants, ils sont revenus, par centaines, par milliers, car ici sont leurs racines, leurs maisons. Les radiations les cernent, elles infestent les cultures, les bois, les animaux sauvages, mais ils vivent là. Ils cultivent, ils pratiquent la cueillette et la chasse, ils jettent un voile d’illusion sur les dangers de l’environnement et se persuadent que leurs existences ne sont pas plus périlleuses qu’ailleurs.

Recette : pour les champignons ramassés dans la forêt, les faire tremper dans plusieurs bains d’eau et une solution saline, et tout ira bien. Pour la viande, et en particulier le gibier, la faire macérer longtemps dans une bassine de saumure, rincer et déguster…

C’est à partir d’interviews réalisées sur place, en 2016, par des membres de la compagnie belge Point Zéro et à l’exemple de Svetlana Alexievitch (prix Nobel de Littérature 2015 pour ses ouvrages sur Tchernobyl et la désagrégation de l’URSS) que le spectacle a été créé. Dans le décor d’une carcasse de maison envahie par les cendres, meubles épars et toiles flottant au vent que va se dérouler l’Herbe de l’Oubli. Cela commence par des images filmées sur place, décombres, envahissement de la nature, bâtiments abandonnés à jamais à l’érosion des saisons puis le propos s’éloigne du documentaire pour rentrer de scène en scène, plus haut, dans l’onirisme, l’universel.

Dans ce but, la mise en scène de Jean-Michel d’Hoop intègre aux jeux des acteurs, l’art de la marionnette. Des marionnettes suggérées au départ, d’une simple robe tenue sur cintre pour la grand-mère prêtresse des gestes ancestraux, obstinée dans son attachement à la vie, refusant par ses actes la catastrophe. Puis, de plus en plus, la présence de marionnettes à fils et enfin de marionnettes grandeur humaine et plus qu’humaines, des vieillards, à la foi gardiens des valeurs et témoins inquiets des événements. Une belle manière de faire s’envoler les témoignages dans le geste pour nous toucher profondément.

Car la tragédie de Tchernobyl n’est pas finie, elle est plutôt la date initiale des peurs qui s’insinuent chaque jour un peu plus dans nos existences : elle a inventé un mal invisible, inodore, impalpable, un mal qui déjoue tous nos sens, susceptible de surgir de la nature à l’apparence amie. Sans bruit. Avaler, boire, devient un mal. Bien au-delà des pesticides et des absences de matières nutritives qui nagent dans nos assiettes, et pourtant, quelque chose qui en approche, capable de créer la grande défiance mystique vis-à-vis de la planète comme de l’industrie. Imaginez vivre dans un environnement totalement nocif…

Petit rappel : 100 000 ans, c’est le temps durant lequel la zone restera interdite. L’espérance humaine est une goutte d’eau dans cet océan. Sous le sarcophage qui survivra beaucoup moins longtemps, on ne sait pas ce qui s’y passe. Pendant ce temps, les habitants biélorusses qui vivent en bords de zone font des enfants et développent des maladies, cancers ou autres, dans des proportions incroyablement supérieures aux moyennes observées ailleurs. Ils le savent, les gouvernements aussi…

Le spectacle d’une très grande plasticité, alterne les apparitions incarnées des habitants interviewés par la compagnie et les scènes de vie magnifiquement jouées en marionnettes dans une fluidité parfaite. Voici l’art et le sensible pour éviter que l’herbe de l’oubli n’érode toute la mémoire des hommes sur les dangers des industries de l’atome.

Bruno Fougniès

 

L’Herbe de l'oubli

de et mis en scène par Jean Michel d'Hoop

avec Léone François Janssens, Léa Le Fell, Héloïse Meire, Corentin Skwara et Benjamin Terrini

Video  Yohann Stehr
Musique  Pierre Jacqmin
Scénographie Olivier Wiame
Marionnettes Ségolène Denis
Lumières Xavier Lauwers

 

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Mis en ligne le 15 juillet 2018