LE BLUES DE LA TORTUE
2, rue Henri-Fabre
84000 - Avignon
04 86 34 52 24
à 10h00
Oui, 10h cela paraît tôt pour assister à une pièce de théâtre, mais l’effort est vite récompensé et l’excellent dynamisme des trois comédiennes efface vite les derniers vestiges du sommeil pour nous entraîner dans le rire. Un rire frais, vivace, coloré, presque bon enfant, lumineux comme le décor qui resplendit de fraîcheur : le sol blanc, les couleurs contrastées, l’impression de propre, de net, de lessivé.
Il faut dire que la pièce se déroule dans une laverie. Les machines à laver sur le côté, la table pour plier le linge au centre, du vert, de l’immaculé. Une laverie un peu particulière, pas très automatique puisqu’elle est l’antre de Lucia, sicilienne au verbe haut, au cœur d’or, au sang chaud et à l’accent chantant. Un de ces caractères que l’on pourrait croiser dans les films de la belle époque du cinéma italien, une Italienne tout droit sortie d’un film de Fellini ou d’Ettore Scola : belle par sa verve, son élégance et par son côté populaire, entre la Mama et la femme fatale. Elle est surtout une sorte de passionaria prête à toutes les tendresses, prête à tous les combats. Un rôle que porte avec grâce et talent Nathalie Pfeiffer.
La pièce de Jean Naguel nous entraîne dans la vie de cette laverie durant une quelques mois de nos jours. Une vie synonyme d’amitié entre trois femmes. Lucia d’un côté et deux femmes plus jeunes car cette laverie est devenue, comme les lavoirs de l’ancien temps, un lieu où les paroles s’échangent entre femmes, un lieu sans hommes, où il est permis de pouvoir parler de tout et même des hommes, en toute liberté.
D’ailleurs, l’une d’elle, Félicité, est à peine mariée. Une jeune femme métisse, moderne, active, amoureuse, interprétée par la très jolie Safi Martin Yé, qui joue son rôle avec une vérité éclatante, un enjouement, une ingénuité désarmante. L’autre jeune femme est encore étudiante. Elle est nouvelle venue dans cette laverie et finit sa thèse. Durant le temps de la pièce, elle achèvera ses études et entrera dans le monde de l’entreprise comme on dit. Giliane Bussy lui prête avec talent son corps et sa voix. Elle aussi vit avec un homme. Sans être mariée avec lui.
Alors voilà, trois bonheurs et une amitié à trois qui se noue à force de confidences et de moments passés ensemble. Moments de joies, de vies, de rires qui se moquent des différences d’âge, de situation sociale, d’origine. Mais quelque chose se dérègle. Et la belle amitié s’inquiète. La gaieté se lézarde chez Félicité à mesure que de son mari fait preuve d’une violence inconnue jusqu’alors.
La pièce de Jean Naguel a l’intelligence de traiter de la violence conjugale par le rire. Et c’est sans une once de pathos que l’on avance dans l’histoire vers le drame. Une manière fine, intelligente et ludique d’évoquer ce que l’on tait en général.
La mise en scène de Jean Chollet rythme parfaitement cette comédie lumineuse qui finit dans le sombre, par un coup de théâtre. Voilà un spectacle totalement abordable qui ose aborder un sujet de société tabou avec grâce et virtuosité.
Bruno Fougniès
Le Blues de la tortue
Texte de Jean Naguel
Metteur en scène : Jean Chollet
Constructeur : Pierre Montandon
Peinture : Ruth Vetterli
Avec Nathalie Pfeiffer, Giliane Bussy, Safi Martin Yé
La Cie Paradoxe est basée à Lausanne (Suisse). Créée en 2007, elle a mis sur pied des projets abordant des thèmes liés à des faits de société, et a acquis une visibilité dans la région de l’arc lémanique, ainsi qu’au Festival d’Avignon et à Paris. Elle compte huit créations à son actif.
Mis en ligne le 22 juillet 2017