LA MAIN DE LEILA
Théâtre des Béliers
53, rue du Portail Magnanen
84000 Avignon
04 90 82 21 07
Jusqu’au 30 juillet
15h35
Écrit sous une forme d’épopée cinématographique, ce spectacle est une petite mine d’inventivité.
Il est tout d’abord fiction, une histoire d’amour semblable aux mille histoires d’amour impossible que les contes, les romans, les légendes et le cinéma nous ont fournis depuis des millénaires. De ces histoires qui bravent les différences culturelles, religieuses et politiques pour s’attacher à l’éloge sans frein de ce sentiment capable de défier l’ordre, et capable de plus souvent d’en crever.
Dans La Main de Leila, la trame se déroule dans l’Algérie d’aujourd’hui. Elle commence en 1987, alors que l’Algérie est en proie à la pénurie, au chômage, aux mécontentements populaires et à l’immobilisme du pouvoir en place et du FLN. Elle se termine lors des manifestations de 1988 et la répression sanglante organisée par l’armée.
Il s’appelle Samir. C’est un garçon tout simple d’un petit village près d’Alger qui a hérité de son père, projectionniste dans son cinéma, d’une collection de tous les grands classiques américains. Bravant la censure, il organise un cinéma clandestin. Là, les jeunes découvrent les versions non censurées de film comme Casablanca. Dans le régime archaïque de l’époque, même les scènes de baiser sur la bouche étaient coupées…
Elle s’appelle Leila. Elle est la fille du colonel tout puissant de la région. Elle se rend un jour clandestinement dans le cinéma de Samir. Le reste emporte les sens des deux adolescents.
Une écriture brève, efficace, drôle et incisive donne un rythme haletant à l’histoire. La fraîche et douce naïveté des deux personnages principaux est parfaitement bien incarnée par Aïda Asgharzadeh, Kamel Isker – qui sont également les géniteurs de ces personnages. Tous deux développent une énergie et une aisance en scène qui donne la vitalité nécessaire à cette histoire torride sous les soleils brûlant de l’Afrique du nord. Ils interprètent également avec humour les personnages secondaires qui participent à la trame.
Tous les autres personnages – la plupart hauts-en-couleurs, typiques, voir parfois assez caricaturaux pour en extraire du rire – sont pris en charge par l’excellent Azize Kabouche. Il ne cesse de passer d’un personnage à un autre, semble se délecter de déformer habilement sa voix et son physique.
La mise en scène de Régis Vallée (qui travaille depuis des années avec Alexis Michalik) est une suite continuelle de changements de décors, de costumes, de perspective – tout cela se faisant avec des accessoires les plus divers, que l’on pourrait trouver dans une buanderie ou sur la terrasse désaffectée d’une maison méditerranéenne : cordes à linge, épingles, casiers à bouteilles multicolores, vieux meubles, portières de bandes plastiques, portant chargés de vêtements, robinets, cuvettes etc. Sorte de fatras qui scène après scène délimite les différents lieux où se déroulent l’action.
La pièce est également remplie de clins d’œil aux mythes qui traversent, toutes les nuits, les rêves des adolescents de la planète entière. Pour exemple, celui fait à Shéhérazade – lorsque Leila, de soir en soir et une année durant refuse de répondre à la question de Samir : « M’aimes-tu ? Veux-tu devenir ma femme ? » et qu’invariablement elle répond : « Reviens me le demander la nuit prochaine. » comme un écho aux histoires des Mille et une nuits sans cesse inachevées au lever du jour pour laisser le sultan dans l’impatience de la nuit suivante.
Il y a dans ce spectacle une cohérence très belle, entre la réalité racontée de ces deux jeunes amoureux en but avec la réalité de l’Algérie moderne et tout l’univers et les références cinématographique dont il est parcouru. Le rêve mêlé habilement à la réalité, pour une histoire d’amour qui, comme la plupart des histoires d’amour, finit…
Bruno Fougniès
La Main de Leila
Une pièce d’Aïda Asgharzadeh et Kamel Isker
Mise en scène Régis Vallée
Scénographie : Philippe Jasko
Musique: Manuel Peskine
Création Lumières: Aleth Depeyre
Costumes: Marion Rebmann
Avec Aïda Asgharzadeh, Kamel Isker et Azize Kabouche
Mis en ligne le 28 juillet 2016