ARTAUD-PASSION
Artéphile
7, Rue Bourgneuf
84000 Avignon
04 90 03 01 90
Jusqu’au 30 juillet 2016
15h45
Proposer un spectacle qui mêle vie privée d’un artiste et son œuvre est une entreprise périlleuse, surtout lorsqu’elle touche un personnage dont la vie a été aussi torturée que celle d’Antonin Artaud. Ne risque-t-on pas de verser dans une certaine forme de culte de la personne de l’écrivain au détriment de ses écrits, de donner lieu à une hagiographie naïve ou une lecture réductrice psychologique ? Ici, il n’en n’est rien. La mise en scène d’Agnès Bourgeois déjoue ces pièges avec délicatesse en proposant un portrait vu à travers un point de vue subjectif et fasciné, à savoir celui, amoureux, de Florence Loeb. Ainsi celle qui a croisé sa route alors qu’elle est était jeune fille raconte-t-elle ses souvenirs vieille dame, tout à la fois témoin et prophète qui révèle et qui veut sauver le génie en souffrance. Ce regard double fait de l’artiste un martyr, un « Artaud-passion » sur celui qui avait écrit sur un autre génie dans son manifeste Van Gogh, le suicidé de la société. Sa vie tortueuse, ses douleurs, sa folie et sa détresse, ses internements, son théâtre de la cruauté voulant s’adresser aux nerfs plutôt qu’à l’intellect, ses électrochocs, son désir d’évasion et son incroyable voyage au Mexique, ses expériences de drogue, sont évoqués pour donner à sentir cette figure infiniment complexe. Les deux personnages s’entrecroisent et se répondent comme ces deux petites lumières qui se tournent autour au moyen d’un appareil qui est le véritable troisième personnage du spectacle admirablement mis en lumière par Laurent Bolognini.
Deux musiciens sur scène ponctuent le spectacle et font également la part belle à la musique, aux sens, à cette évocation de l’artiste plutôt qu’à l’ambition de prétendre expliquer tout Artaud. Mais l’essentiel est porté par les deux comédiens. Jean-Luc Debattice d’abord, en Artaud au corps imposant et pesant suffit à poser son personnage de façon économique : peu de parole mais un corps sur scène traversé de violence et de passion, objet de celle de Florence et sujet d’une autre pour le théâtre – avec un morceau d’anthologie quand il se met à discuter avec Louis Jouvet. Agnès Bourgeois ensuite et surtout, au visage sans âge qui permet d’incarner aussi bien la jeune fille que la vieille dame, avec son physique à la fois gracile musclé qui est à l’image de l’écriture même d’Artaud dont elle finit par être sur scène la véritable incarnation.
Frédéric Manzini
Artaud-Passion
De Patrice Trigano
Mise en scène : Agnès Bourgeois
Scénographie : Didier Payen
Costumes : Laurence Forbin
Lumière : Laurent Bolognini
Musiciens compositeurs : Fred Costa et Frédéric Minière
Avec : Jean-Luc Debattice et Agnès Bourgeois
Mis en ligne le 17 juillet 2016