ZAKOUSKI ou LA VIE JOYEUSE |
Théâtre de l’Opprimé
C’est à l’initiative de Eric Prigent que le metteur en scène s’est intéressé à Mikhaïl Zochtchenko. Qui ? Vous voyez, vous aussi ! Ce Zochtchenko, donc, était un célèbre satiriste russe, né en 1895 que le régime stalinien finit par museler. On pourrait rapprocher son travail d’un Dario Fo, ou d’un Karl Valentin, sauf que lui s’exprimait sous forme de contes ou de petites histoires. Serge Poncelet, maître d’œuvre de ce spectacle, a choisi de tirer ces formes brèves vers une sorte de patchwork débridé où se croisent tout de même des personnages récurrents, un acteur, une concierge, deux fiancés tout jeunes, un inspecteur, …autant de figures traitées en farce. Les comédiens portent des demi masques et cet à priori, surprenant au début, passe ensuite très bien, tant cette stylisation (éloignée de tout psychologisme) sert l’approche de l’auteur : pour lui, nous avons affaire à des types humains, avec leurs manies, leur côté grotesque et si l’émotion survient, c’est sans pathos, sans surcharge. Juste au détour d’un geste, d’un constat que se fait le spectateur, sans qu’on ait besoin de lui mettre les points sur les i. L’espace, qui se renouvelle, fait exister un cinéma, une soirée où l’on sert les fameux zakouski du titre, une chambre, un tribunal, … Le propos des histoires de Zochtchenko (je ne résiste pas au plaisir d’écrire une nouvelle fois son nom) c’est une critique fine d’une société russe où règne la débrouillardise mais aussi la suspicion et les menaces que peut faire peser le moindre écart qui pourrait être ressenti comme contre-révolutionnaire. Il faut voir ces algarades au cinéma surveillé par un garde, ou comment un acteur « qui n’a rien fait », bien évidemment, se retrouvera accusé puis fusillé. On appréciera, au passage, ce castelet qui permet du jeu dans le jeu, avec didascalies énoncées où l’on assistera aux malheurs conjugaux d’un pope, aux disputes d’un couple … La scène des bains douches fait penser, s’il faut à tout prix trouver des références, à Charlot, ou à un Tati speedé. Il y aura aussi des allusions à la guerre et aux avions, des remarques sur l’évolution de la société : « Mais qu’est-ce qui arrive aux hommes russes ? » qui fait pendant, très justement à « Mais qu’est-ce qui arrive aux femmes russes ? » Côté dialogues, il y a des perles : « Hormis l’argent, la nourriture, les femmes, il ne s’intéressait à rien. » mais les personnages n’hésitent pas à citer Flaubert (mais oui) : « Il me semble que je me pendrais volontiers. L’orgueil, seul, m’en empêche » Magie du théâtre, efficacité des éclairages, qualité de la bande son (avec musiques russes) que demander de plus ? Les comédiens sont au diapason : prestations justes d’ Eric Prigent en inspecteur, pope ou citoyen porté sur la boisson. On appréciera le côté elfe de Marie Duverger, la solidité de Stéphane Alberici aussi bon en acteur qu’en oncle et Olga Sokolow qui sait, grâce aux masques et à son jeu inspiré, être une concierge, une petite fille et Marousska, l’amoureuse au long nez.
Gérard NOEL Zakouski ou la vie joyeuse Scènes burlesques d’après des récits de Mikhaïl ZOCHTCHENKO
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