UNE SORTE D'ALASKA |
Aktéon théâtre
C'est à un voyage curieux et déroutant que nous convie le metteur en scène Ulysse di Gregorio. Respectant à la lettre l'univers particulier d'Harold Pinter – monologues, soliloques, suspensions, coupes, ellipses, silences –, dans une pure « pinteresquerie » (terme qui définit une pièce de théâtre à l'atmosphère oppressante ou située dans un milieu particulier ), il nous raconte l'histoire de Déborah, atteinte d'encéphalite léthargique, revenue à la vie après seize ans de sommeil par une injection de L-Dopa pratiquée par son médecin Hornby. Pinter (prix Nobel de littérature en 2005) s'était inspirée pour son « A Kind of Alaska » créé en 1982, du livre « Awakenings » d'Oliver Sacks, traité sur le réveil subit de certains patients après une longue période de sommeil dont a aussi été tiré en 1990 le très beau film « L'éveil » avec Robert De Niro et Robin Williams. Dans un décor neutre et dépouillé – un lit d'hôpital, un guéridon et deux chaises – , il nous promène entre conscient et inconscient, aux limites de la frontière entre la vie et la mort, dans une sorte de désert glacé qui est davantage un « nulle part » qu'un « ailleurs », un lieu d'immobilité qui s'est emparé de Déborah quand elle resta un jour « comme arrêtée un vase à la main. » « Votre esprit n'a pas été endommagé, il a seulement été en suspens. Il s'est établi pour un temps dans une sorte d'Alaska » lui dit à un moment le Dr Hornby. La mise en scène qui reproduit parfaitement les symptômes de la schizophrénie – ralentissement du discours, langage du corps très limité, absences gestuelles et absences linguistiques entrecoupées parfois de quelques éclats et mouvements –, interroge et interloque le spectateur, tout y est représenté au ralenti, y compris les personnages du médecin et de Pauline, la sœur, attitudes figées, mots brefs entrecoupés de longs silences, pour semble-t-il ne pas brusquer la malade. Grégoire Pallardy et Marinelly Vaslon sont parfaits dans ces deux rôles difficiles mais la plus impressionnante est sans conteste Dorothée Deblaton qui livre là une composition époustouflante particulièrement dans la scène finale où elle décrit cet emprisonnement à l'intérieur de soi même qui s'empare d'elle, ce manque d'espace, ces murs pour nous invisibles, ces parois de verre qui l'étouffent quand tout finit par se refermer autour d'elle. Elle retombe alors, laissant échapper ce simple mot : « Merci ». Bouleversant.
Nicole Bourbon
Une sorte d'Alaska de Harold Pinter avec Dorothée Deblaton - Grégoire Pallardy - Marinelly Vaslon
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