C'est l'une des comédies écrites par Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, devenue un film récompensé après un large succès à sa création théâtrale en 1994. Une écriture à deux mains pour deux comédiens, du sur-mesure avec un ton particulier, une ironie désinvolte et un fatalisme souriant qui donnent du mordant à ces personnages populaires et fait jaillir d'eux, par moments, une humanité enfantine et cruelle qui soulève des rires aussi involontaires que des haut-le-cœur.

Car il n'y a rien de tendre dans le tableau de cette réunion familiale hebdomadaire.  Sous l'apparence festive de cette soirée rituelle, grouillent comme on s'y attend, les vieilles rancœurs, les jalousies et les sempiternels reproches. L'élégance du texte est de ne pas s'attarder sur ces conflits sous-marins. Ils ne servent que de toile de fond, amère et désillusionnée, sur laquelle rebondissent les répliques piquantes et sans pitié.

La pièce ne dénoue donc aucun nœud, il s'agit de vivre en temps réel, dans un lieu unique, un moment de l'existence de cette famille. Tout le spectacle tient alors sur la puissance des caractères des personnages et à l'interprétation de cette partition millimétrée.

Cathy Guillemin et sa troupe de comédiennes et de comédiens ont trouvé le ton et le rythme juste. Ni trop de désinvolture, ni trop de caricature, voilà le cocktail réussi par la metteuse en scène. Bien sûr, difficile pour certains rôles de s'extraire de la création originale. Le phrasé si particulier de Jean-Pierre Bacri et l'humeur constamment bougonne qu'il distille dans chacune de ses apparitions suinte de toutes les répliques de son personnage, mais Morad Tacherifet  parvient à y apporter une fragilité personnelle touchante. De même, Hélène Phénix, qui se glisse dans le personnage interprété à l'origine par Agnès Jaoui, possède une fraicheur et une sincérité efficace et sensible. Alexandra Causse dans le rôle de La Mère possède une autorité et une perfidie inconsciente jubilatoire. Tandis que Sarah Boutier procure à son personnage des absences magnifiques et une aliénation, une fragilité, une transparence émouvantes. Johann Coste dans le rôle de Denis, le serveur est drôle sur chacune de ses interventions, un humour froid, bien campé, c'est l'œil extérieur de cette famille, par son regard on comprend toute cette folie que drainent fatalement les histoires de famille. Seul Jules Lecointe fait un peu hors sujet. Son élocution un peu trop saccadée s'inscrit mal dans la fluidité du texte, il lui manque l'esprit du jeu qui habite tous ses autres camarades.

Une pièce qui mérite d'être vue.

Bruno Fougniès

 

Un air de famille

de Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui
Mise en scène Cathy Guillemin

Avec Sarah Bouthier, Alexandra Causse, Johann Coste, Jules Lecointe, Hélène Phenix et Morad Tacherifet