TROYENNES
Théâtre 13, Côté Seine
30 rue du Chevaleret
75013 - Paris
01 45 88 62 22
Jusqu'au 14 décembre
mardi, jeudi et samedi à 19h30, mercredi et vendredi à 20h30, dimanche à 15h30
Crédit photo : © Alain Richard
Dans les décombres d’une société mise à sac, les cendres d’une cité vaincue et détruite, à cet instant où une civilisation est sur le point de sombrer dans l’anéantissement et l’oubli, les survivantes témoignent, les survivantes tentent de rassembler autour de leurs corps battus, les haillons de leur dignité, de leur honneur et les derniers germes de vie capable de faire espérer une renaissance future, un avenir possible, une continuité du temps.
La pièce d’Euripide raconte les témoignages mythologiques des héroïnes de la guerre de Troie, saisies dans le temps suspendu qui succède aux carnages. L’heure où l’armée grecque victorieuse crache ses derniers morceaux de haine en décidant l’éradication du peuple troyen de la surface du globe : Le partage du butin. Que reste-t-il des vaincus ? Les hommes sont morts. Seuls les femmes et les enfants restent un gage d’espoir. Pour cette politique de destruction, ils doivent être eux aussi anéantis. Les enfants tués, les femmes transformées en marchandise, leurs ventres annexés. Elles seront la part d’honneur des guerriers grecs, devenant esclaves ou forcées au mariage, violées et dévorées par l’acide du renoncement et de l’impuissance. Leur sang, leurs veines, leurs âmes broyées.
L’adaptation de Kevin Keiss et la mise en scène de Laëtitia Guédon tentent de rendre proche de nous cette histoire. En prologue, les interprètes en habits contemporains, menés par Kevin Keiss qui adresse au public quelques phrases en grec figurent une minute le chœur et son coryphée. Sur scène, un décor réduit à des éléments symboliques : les cages où les troyens sont enfermés, la passerelle menant aux vaisseaux grecs et l’exil, une voûte d’esquifs suspendus figurant la flotte des vainqueurs. Plus tard, des phrases enfantines documentaires s’insèrent dans la dramaturgie. Le plateau est laissé à l’expression des voix et des corps. Un micro filaire, un dj incarnant Poséidon qui crée en direct des sons telluriques et répétitifs, tout est pensé pour secouer la poussière de la tragédie antique pour en extraire l’émotion viscérale et que le verbe d’Euripide nous parle comme un contemporain. Ici, pas de reconstitution.
Il y a dans ce spectacle une sorte de collision entre cette volonté de modernité et la puissance déclamatoire des longs monologues d’Hécube, de Cassandre, d’Andromaque et d’Hélène qui fondent la structure de la pièce d’Euripide. Malgré le désir de donner ces témoignages dans un langage accessible, la rythmique tragique ne se laisse pas faire, elle reprend le dessus et donne son tempo. Mais cette lutte altère l’émotion que la scansion tragique est capable de créer : les images portées par les mots ne suffisent pas. On passe ainsi par des moments où le verbe décolle et vient briser son élan sur un effet résolument à la mode : comme un monologue d’Hélène qui se termine dans l’éraillement d’un micro filaire, écrasé.
Peut-être à vouloir rendre humains des personnages qui sont juste des héroïnes, leur fait-on perdre un peu de leurs grandeurs ? Pourtant, certains passages, comme celui d’Andromaque interprété par Mounya Boudiaf, touchent juste et fort et tout le travail d’incarnation et de profération du texte ainsi que la direction d’acteur est là, presque trop à fleur de peau. Un manque de distance qui fait frôler parfois dangereusement le pathétique.
Voilà un spectacle très pensé, soucieux à la fois d’insérer toutes les références du théâtre antique et d’y développer une idée propre, presque trop explicite.
Bruno Fougniès
Crédit photo : © Alain Richard
Troyennes
de Kevin Keiss d’après Euripide
Mise en scène de Laëtitia Guédon
Dramaturgie Muriel Malguy
Scénographie Soline Portmann
Collaborateur artistique Emmanuel Mazé
Lumières David Pasquier
Musique Blade Mc Ali M’Baye
Son Géraldine Dudouet
Chorégraphie Yano Iatrides
Avec :
Blade : Poséidon et Athéna
Mounya Boudiaf : Andromaque
Kevin Keiss : Coryphée
Adrien Michaux : Talthybios
Pierre Mignard : Ménélas
Marie Payen : Hécube
Valentine Vittoz : Hélène
Lou Wenzel : Cassandre
Mis en ligne le 11 novembre 2014