TOUCHÉE PAR LES FÉES |
Maison des métallos
Un moment pur, rare. Sur scène, l'espace vide rendu encore plus vide par l'existence de trois cubes de bois noir. Ariane Ascaride entre par la salle, vêtue d'une combinaison de travailleur rouge qui la couvre des chevilles jusqu'au cou. Seul son visage encadré de ses longs cheveux châtains sur ce corps sans forme. Lorsqu'elle monte sur scène, une lumière de néons glace encore plus l'espace. C'est la lumière des maisons des jeunes, des réfectoires, des salles polyvalentes où la petite Ariane Ascaride a joué ses premiers rôles sous la direction de son père, coiffeur napolitain de Marseille amoureux du théâtre, des femmes et de la révolution soviétique. Pas de rideaux de velours rouge ni de volutes dorées ni de costumes étincelants pour ce théâtre là mais la simple présence physique et l'envie de raconter. L'envie aussi pour l'enfant Ariane de s'envoler. Pourquoi ? Pour où ? Pour rien. S'envoler, c'est tout. C'est tout le désir qui l'emporte vers l'âge adulte. Voler malgré un vertige incurable. Voler d'une manière ou d'une autre. Ce seront les planches qui, telles un tremplin, vont emporter jour après jour la petite Ariane vers son rêve. Il y a dans ce spectacle une simplicité, une sincérité et une fragilité que seuls les comédiens capables d'invoquer la grâce peuvent atteindre. Ariane Ascaride nous emporte phrases après phrases, rires après rires dans son enfance infusée de théâtre. Quelques projections d'images anciennes, deux voix off qui interrogent, quelques objets symboles de souvenirs. Voilà tout ce qu'elle nous offre et aussi cette manière de semer quelques éclats de souvenirs qui brillent un moment dans ses yeux et sur ses lèvres. De tous petits éclats de rires d'enfance qui dessinent à petits jaillissements l'histoire de cette femme-enfant tombée amoureuse du théâtre par évidence, par nécessité. Le texte que lui a écrit Marie Desplechin entrecroise les souvenirs, les confidences et les réparties fraîches et drôles, un peu comme si ce personnage nous disait tout ce qui lui passe par la tête au moment où il le pense. On s'attend à ce qu'il vienne s'asseoir avec nous pour regarder ce qui se passe sur plateau. Mais non, sans elle, sans la comédienne, il ne s'y passe rien. Et l'on se rend compte que le théâtre est un rêve, un rêve fugace mais sans fin, un rêve jamais atteint finalement, qui fuit sous les pas comme le sable et surgit un peu plus loin et fuit toujours un peu plus loin, toujours à recommencer. Vers la fin du spectacle, Ariane se dépouille lentement de la combinaison de travail comme d'une chrysalide et en sort transfigurée. Et soudain devant nous, servie par une très douce chorégraphie de Thierry Thieû Niang, elle réalise enfin son rêve d'enfant. C'est déjà fini ? Oui Tout s'éteint Mais une lumière persiste encore tout au fond de nos yeux.
Bruno Fougniès
Touchée par les fées Pour et par Ariane Ascaride Texte Marie Desplechin
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