THE VALLEY OF ASTONISHMENT

Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis boulevard de la Chapelle
75010 Paris
01 46 07 34 50

Jusqu’au 23 décembre 2016
du mardi au samedi  à 21h00,
matinées les samedis 3, 10 et 17 décembre à 15h30 et le dimanche 18 déc. à 16h00

 

The Valley Of Astonishment loupe © Pascal Victor ArtComArt

Dans l’immense espace nu des Bouffes du Nord, un carré de moquette claire, trois chaises et une table en contreplaqué, et un perroquet où pendent des habits et des blouses blanches attendent les comédiens. Ils entrent avec un naturel étrange. On croirait qu’ils portent en eux une qualité particulière, une manière d’être, de voir, de ressentir.

Ils sont pourtant tout à fait dissemblables : le premier, Pitcho Womba Konga, est un homme très grand, noir, les gestes et la démarche amples. Avant de devenir acteur, il était avant tout rappeur, en Belgique où il est arrivé à l’âge de 7 ans après avoir quitté sa République du Congo natale.

La deuxième semble presque une miniature à côté de lui. Elle est brune, la peau blanche, les traits sculptés, la voix rauque. Kathryn Hunter est né à New-York de parent grecs avant d’adopter l’Angleterre et son art dramatique incomparable.

Le troisième paraît presque banal. Le visage rond, la peau rosée, le corps souple, la voix claire, le sourire franc, Marcello Magni né à Bergame en Italie passe par Paris où il se forme à la comédie puis Londres où il fait une partie de sa carrière.

Peut-être est-ce cela qu’ils apportent avec eux sur le plateau : ces parcours de nomades, de voyageurs, on sent qu’ils ne font que passer, qu’ils viennent juste en messagers, à peine s’assoient-ils sur les chaises, ils ne s’installent pas, ils viennent raconter une histoire.

Et toute la poésie de ce spectacle commence avec eux, la finesse de leur jeu, l’effronterie de leur aisance, la force de leurs mots auxquels il faut rajouter toute la partie musicale légère et fluide comme un écho lointain de Raphaël Chambouvet, assis au bord de l’espace de jeu derrière son clavier ou son accordéon.

Peter Brook et Marie-Hélène Estienne ont créé ce spectacle inspiré par un passage de la Conférence des oiseaux du poète soufi Farid Uddin Attar. « La Vallée de l’Etonnement » raconte l’existence de personnes ayant des capacités mentales extraordinaires ; c’est une ouverture parfois douloureuse, parfois magique, sur les potentiels inexplorés du cerveau. L’histoire principale qui nous est racontée est celle du personnage joué par Kathryn Hunter qui souffre d’une mémoire infinie, mais une mémoire fonctionnant par synesthésie. Dans ce cas particulier, sa mémoire associe toutes lettres avec les couleurs. Une qualité qui lui fait perdre son travail à la rédaction d’un journal et la transforme en phénomène de cabaret et en objet d’étude pour la science.

De cette absolue particularité, la pièce extrait une sorte d’universalité douce, drôle et légèrement amère. On est tout le long de cette pièce emportée dans une sorte de dialogue entre la scène et la salle, une écoute presque perceptible au touché qui tient beaucoup aux talents sensibles des interprètes. 

On est projeté là où soudain le théâtre devient une porte qui s’ouvre sur une humanité sereine, partagée, incroyable, amusante, sans crainte, comme un espace  propice à la conscience, à la poésie, simultanément détaché du monde et inscrit dans l’histoire humaine.

Ce presque rien de mise en scène, cet évanescente présence musicale, ce jeu constant entre réalité et illusion que les acteurs créent avec le public font de cette pièce un instant gravé, lumineux et bienfaisant, dans la matière solide de la mémoire. C’est un bienfait pour tout cerveau.

Bruno Fougniès

 

The Valley Of Astonishment

Texte et mise en scène Peter Brook et Marie-Hélène Estienne
Lumières Philippe Vialatte
Réalisation des éléments scéniques Arthur Franc
Assistante costumes Alice François

Avec : Kathryn Hunter, Marcello Magni et Pitcho Womba Konga

Musicien Raphaël Chambouvet

 

Mis en ligne le 2 décembre 2016