STRIP-TYQUE
Théâtre Essaïon
6, rue Pierre-au-Lard
75004 Paris
01 42 78 46 42
Jusqu’au 21 avril
les lundis et mardis à 21h30
Un spectacle rare par son sujet et par sa forme. L’érotisme, voilà sa texture.
Le langage est cru, réaliste, imagé parfois mais il se veut surtout moderne, sans détour. L’auteur emploie ces mots qui projettent hors d’eux-mêmes l’objet dont ils sont l’émanation. Impossible d’échapper à leur apparition soudaine dans l’air en clair obscur de ce théâtre voûté.
La scénographie est toute simple : une table et deux chaises sur lesquelles sont assises deux silhouettes d’hommes. Des verres à vin, des bouteilles, un bandonéon aux pieds de l’un des hommes font penser aux bars enfumés des films hollywoodiens des années 50.
On entre immédiatement dans l’histoire, sans préambule, comme si l’on était là par effraction, au milieu d’une cérémonie sexuelle assumée.
La femme a la tête auréolée par l’arc en plein cintre de la porte derrière elle. Elle porte un long manteau rouge et un loup sur les yeux. Et déjà elle parle : désir, sexe, soumissions, plaisir des corps, multiple frissons, partenaires, plaisir de soumission, trous, palpitations des organes, des sens, des gestes, caresses, pénétrations… Les pierres du théâtre de l’Essaïon et la présence muette et masquée des deux hommes font écho à cette revendication masochiste explorée, exposée.
Mais qui de l’esclave et du dominateur est véritablement le maître de cet échange brûlant de désir et de possession ? Qui possède l’autre en définitif ?
L’auteur tente de mettre au grand jour la part obscur des désirs, des plaisirs inavouables, des jeux étranges, des rites… la grande parade amoureuse, tentatrice, des femmes et des hommes entre eux. Ce texte est surtout une ode, à fois envieuse et fascinée, à la femme, à son pouvoir de volupté, aux capacités de son corps à jouir : jalousie d’un homme réduit à suivre, dans son plaisir, l’unique carotte de son pénis alors que la femme semble source inépuisable de jouissances.
La pièce raconte aussi une rencontre. Deux premiers temps : l’un donné à la femme, le deuxième à l’homme. Dans un troisième temps, l’homme et la femme s’enlacent et tentent d’accorder leurs mots et leurs pas, aux rythmes de tangos joués par le troisième interprète Pablo Nemirovsky au bandonéon.
Celui-ci accompagne tout le spectacle de ses airs de tangos argentins. Il accompagne également Anne de Broca qui chante quatre de ces airs d’une voix charnelle et légèrement ironique. Car tout un jeu mène l’action de la pièce, jeu de séduction qui flirte avec l’abîme de la perversion, entre l’homme et la femme.
Anne de Broca (également metteur en scène du spectacle) est d’une justesse éblouissante dans cet exercice périlleux qui consiste à donner ce texte sans jamais s’approcher même de loin, du vulgaire. Il faut une interprète de cette valeur, habituée aux grands textes classiques et tragiques, pour donner à ces mots une beauté étrange et fascinante. Ténue.
Son partenaire de jeu, Erwan Daouphars, est lui aussi d’une tenue irréprochable. Il est presque trop humain face à cette femme aux sens vibrants mais au regard sans bienveillance, sorte de déesse exigeante.
À tout cela, il faut ajouter les lumières douces et un jeu subtil de résonnance des voix sur cette scène si spéciale. Cela fait de ce spectacle un bijou brillant au milieu de la nuit, un cri de vérité en plein silence, un instant où l’intime s’expose sans fausse pudibonderie, beau, vibrant, pudique, comme un partage.
Bruno Fougniès
Strip-tyque
Texte de Denys Treffet
Mise en scène Anne de Broca
Assistante Muriel Piquart
Musique de Pablo Nemirovsky
Avec : Anne de Broca, Erwan Daouphars et Pablo Nemirovsky au bandonéon
Mis en ligne le 15 mars 2015