SORTIE D'USINE
Le Grand Parquet
Jardins d'Éole
35 rue d'Aubervilliers
75018 PARIS
Tél : 01 40 05 01 50
Jusqu'au 18 mai
les jeudis, vendredis et samedis à 20h, les dimanches à 15h
Un spectacle qui caresse ce qui reste en nous de révolte – une révolte bien enfouie sous des couches et des couches de compromissions, de défaites et de soumissions aux « réalités de l'existence ». On n'y parle pourtant pas de révolution ni de cet appel à la lutte des classes étouffé depuis belle lurette par les dogmes de l'économie libérale. Nicolas Bonneau nous raconte simplement une histoire, des histoires.
Il y a presque de la maladresse chez ce comédien : une douceur, un effacement, comme s'il se trouvait par hasard jeté sur un plateau devant un public. Un plateau nu au-dessus duquel est suspendu un néon nu qui oscille et découpe le visage du comédien. Il n'y aura aucun autre décor mis à part quelques accessoires. Certains ont un usage sonore : le bruit, le bruit des machines, ou visuel : les éclats de lumières des usines dans la nuit, les formidables forteresses gardées comme des pénitenciers que sont ces gigantesques ateliers où s'épuisent les vies ouvrières de génération en génération.
Le titre résume tout le sujet du spectacle en reprenant le message des panneaux de signalisation que l'on trouve sur les routes des villes et des campagnes : « Attention, sortie d'usine ! » comme il y a « Attention, chutes de pierres ! », « Attention, croisement dangereux ! ». Une phrase qui se décline : sorti de l'usine, quelle est la vie ? / Comment sortir de l'usine ? / Comment s'en sortir quand il n'y a plus d'usine ?
Qui sont-ils ces ouvriers du 21ème siècle ? Ils n'ont, d'après eux, rien d'intéressant à raconter.
Ils ont pourtant une fierté presque aristocratique : descendants d'ouvriers eux-mêmes descendant d'ouvriers avec une histoire plus noble que celle de n'importe quel rond de cuir car être ouvrier est un état dangereux, pleins de risques, un travail qui abîme, un travail qui tue, à petit feu ou violemment. La machine, les matières toxiques, les cadences infernales tuent autant que les fermetures de sites.
Nicolas Bonneau a gobé la matière de son texte dans des témoignages qu'il a collecté auprès d'ouvriers de la région Poitou-Charentes depuis 2006, il l'a aussi biberonné dans son enfance de la bouche de son père.
Il distille pour ses personnages une tendresse et un art de l'interprétation qui rappelle Philippe Caubère du temps où celui-ci créait « La danse du diable », il y a trente ans (Il avait alors 35 ans, à peu près l'âge de Nicolas Bonneau, n'est-ce pas ?). On y suit plus particulièrement la vie de Gilbert Simoneau, soudeur à la retraite et de sa femme Catherine ouvrière dans la confection. Ils disent : « On n'a rien d'intéressant à raconter ». Ils ont des silences graves, réflexifs, éloquents. Ils ont des exclamations qui éclatent comme des bras d'honneurs et des rires puissants.
Mais la force de ce spectacle tient aussi à la construction d'un texte dramatique qui incite le comédien à se dépouiller des artifices du théâtre pour atteindre à la sincérité du témoignage.
Et pourtant l'on ne quitte pas le théâtre, un théâtre qui n'essaie pas de faire croire mais qui croit.
Bruno Fougniès
Sortie d'usine, Récits du monde ouvrier
De et par Nicolas Bonneau
Mise en scène / collaboration à l'écriture Anne Marcel
scénographie Vanessa Jousseaume
lumières David Mastretta