SIRÈNES
vu au Nouveau Théâtre de Montreuil
Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
01 44 95 98 21
du 4 novembre au 6 décembre
Mis en ligne le 9 mars 2014
Actualisé le 17 octobre
« Toute pièce est une enquête menée à bonne fin » a dit Eugène Ionesco.
C'est le cas de ce spectacle écrit avec la complicité des comédiens qui l'interprètent. Une enquête à travers le temps et l'espace, l'oubli et la mémoire. Qui traque les non-dits, les secrets de famille à jamais enfouis. Ces pans de silences tellement vertigineux qu'ils creusent au cœur des êtres des abîmes d'incompréhension capable de déclencher, tumeurs, névroses, folies, bizarreries, parfois des générations plus tard.
La quête de cette pièce est de découvrir de quoi nous sommes faits, de quels matériaux, de quelles histoires familiales et sociales.
Une enquête qui tente de percer le mystère de trois générations de femmes, une enquête dans le domaine infini de l'inconscient. Mais rien de didactique ni de psychanalytique ici : ce sont des évocations de moments de vie qui nourrissent la complexité des personnages. Des histoires simples en vérité, presque banales, faites de drames quotidiens et universels, des fractures de vie.
Le spectacle est rythmé comme un film : quatre espaces scéniques et un espace de projection qui nous entraînent de lieux en lieux, d'époques en époques, instantanément. Des scènes courtes qui racontent trois générations de femmes, de mères à filles : femme dans les années soixante, femme dans les années quatre-vingts, femme à notre époque. Une lignée de mère à fille portant héritage l'une de l'autre, une généalogie doublée des bouleversements de la condition de la femme lors de ces cinquante dernières années. Car ce spectacle est aussi un rappel de la jeunesse des libertés accordées aux femmes par nos sociétés évoluées. Une marche vers la liberté et l'émancipation qui ne s'est pas faite sans laisser des blessures. Une émancipation encore toute proche : la femme des années soixante vit sous la tutelle presque absolue de son mari. Aucun droit légal autonome.
D'ailleurs, toutes ses scènes se déroulent dans un espace clos aussi accueillant qu'une prison.
Pauline Bureau et ses comédiens ont construit là une fresque vivante, d'une cohérence parfaite, rythmée et nettoyée des règles de constructions dramatiques classique et qui fonctionne à merveille. Un montage de scène qui demande aux interprètes une agilité déconcertante puisqu'à eux sept ils interprètent plus d'une vingtaine de personnages, jouent de la musique live, chantent, se transfigurent et surtout font vibrer sans pathétisme les drames et les violences qui parcourent ces vies.
On ressort de cette longue et hasardeuse quête d'identité, nourri d'une multitude d'images et d'un sentiment d'apaisement comme lorsqu'une chose importante a été dite. Quelle chose ? Peut-être le fait d'accepter nos propres complexités, et celle des autres. Accepter les liens qui nous relient au passé comme au monde qui nous entoure et se rendre compte de l'héritage intime qui est la matière de ce que nous sommes, chacun unique et chacun semblable.
Peut-être aussi parce que ce spectacle est une ode aux femmes : à leurs combats pour s'imposer dans un monde d'homme, à leur fidélité à la mémoire et à leurs choix, à leur force, leur détermination dans l'épreuve et à ce regard particulier qu'elles ont les unes sur les autres, un regard à la fois sans concession et bienveillant, un regard très dur parfois mais toujours avec un éclat d'espoir.
Bruno Fougniès
Sirènes
Texte et mise en scène Pauline Bureau
Dramaturgie Benoîte Bureau
Collaboration artistique Gaëlle Hausermann
Lumière Jean-Luc Chanonat
Composition musicale Vincent Hulot
Scénographie Emmanuelle Roy
Costumes Alice Touvet
avec Yann Burlot, Nicolas Chupin, Camille Garcia, Vincent Hulot (musicien), Régis Laroche, Marie Nicolle, Anne Rotger, Catherine Vinatier
Écrit avec la complicité des sept comédiens présents sur le plateau, Sirènes se compose de scènes brèves, vivantes, qui s'offrent à nous dans toute la simplicité de leur quotidienneté.