ROMÉO ET JULIETTE |
Théâtre 14 Jean-Marie SERREAU Transposer Roméo et Juliette sur fond de Yougoslavie et de conflits, il fallait oser. Le metteur en scène Ned Grujic l’a fait. Nous avons donc droit à des fleurs plantées dans des pneus, une chambre de Juliette agrémentée de plastique du plus bel effet. Plus un père Capulet aux faux airs de mafieux et un frère Laurent qui joue les deus ex machina entre ses icônes. Mais la pièce du grand Will tient la distance. Dans ce décor de bric et de broc, les corps bougent et les passions se déchaînent : un Roméo en costume (Emmanuel Suarez ou Axel Beaumont) tombe fou amoureux de la belle et jeune Juliette (Carole Deffit) dont l’air boudeur et les cheveux au henné le font craquer. Que Roméo Montaigu et son ami Benvolio s’invitent à une fête donnée par les Capulet (ennemis héréditaires et famille de Juliette) et l'action s’enclenche. Elle ira doucement vers son terme. Au passage, nous aurons eu des chants et des danses, des défis, deux meurtres (un dans chaque camp). La vengeance se mange ici à chaud : on pleure, oui, mais on répète que le sang appelle le sang. Avec tous les malheurs qui s’ensuivent. Dans cette adaptation (inspirée) les parents de Roméo ont, semble-t-il, été un peu effacés. Ce n’est pas un problème. Les parents de Juliette invitent, ils se réjouissent d’un mariage futur, le précipitent au besoin. Ils transformeront, à la fin, les préparatifs du mariage en cérémonie funèbre. Plusieurs trouvailles de mise en scène : ces Parques qui ressemblent aux sorcières de Macbeth et qui, comme le veut la tradition, filent les vies humaines. Le personnage du père Capulet est bien vu : la cigarette aux lèvres, des airs de parvenu qui badine avec tout sauf avec l’honneur. Cette idée de faire jouer un ami de Roméo et le promis de Juliette par le même comédien, Antoine Lelandais dont on n’oubliera pas le jeu « musclé » et les chemises bariolées. Dans le rôle du frère Laurent, un rôle déterminant, pour ceux qui connaissent la pièce, Franck Vincent est tout à la fois confesseur et confident. Il a des emportements réjouissants, une faconde bien servie par sa voix de basse. En nourrice, Claire Mirande déploie la palette de ses talents : elle a la gouaille de celle qui a vécu (et qui en a vu d’autres) et des mines de musaraigne. Elle se met au service des amours de sa jeune maîtresse, du mieux qu’elle peut. Parlons-en, d’ailleurs, de ces amours : même si elle n’a que quatorze ans, Shakespeare n’élude pas la nuit qu’elle passe avec Roméo. Ce qui nous vaut des baisers fougueux et des enlacements vraisemblables. Enfin deux amoureux qui évitent le cliché de la gravure de mode. Il y a du Kusturiça dans cette approche, à la fois baroque et festive. Signe de l’universalité de la pièce, passé la première surprise, tout fonctionne bien. On y voit illustré ce thème, encore actuel, des familles opposées, des conflits (ils peuvent être aussi religieux) qui s’opposent à l’amour des deux jeunes gens. « Maudite soient vos deux maisons ! », répète Mercutio en s’écroulant, victime de l’éternel vendetta. Deux heures de spectacle pour une histoire « de sang et de fureur », qui ne finit pas vraiment bien mais que l’on prend plaisir, une fois encore, à voir conter.
Gérard NOEL
Roméo et Juliette de William Shakespeare
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