Voici donc la création 2012 du Teatro Malandro dont le metteur en scène Omar Porras est depuis plusieurs années unanimement reconnu notamment comme un relecteur-créateur foisonnant d'idées... Et ce Roméo et Juliette, réduit à deux heures, n'échappe pas à la tradition de cette compagnie. Cette fois, c'est donc Shakespeare qui est mis en perspective du théâtre traditionnel japonais. Il faut dire que depuis 1999, la troupe établie en Suisse multiplie les échanges avec le SPAC au Japon et ses acteurs qu'on retrouve donc distribués ici.

Le choix scénographique est clairement annoncé dés l'entrée dans la salle : une demie arène bordée de hauts poteaux de bois comme des bambous qui permettront l'accès mais aussi des projections figuratives ou plus poétiques. Une arène ou un chant de bataille de ces deux familles italiennes, transposé donc ici dans un Japon ancestral mettant aux prises deux clans. Omar Porras s'appuie également sur le jeu codifié et rituel du nô ou du Kabuki sans pourtant renoncer à sa touche personnelle mélangeant théâtre de tréteaux, humour décalée et modernité du langage. On passe allègrement de l'estampe japonaise à la chanson rock amplifiée... Il faut ici préciser que 90 % du texte est donné en japonais (surtitré bien sûr), le français étant réservé aux personnages de Frère Laurent et Pâris.

Comme dans les précédentes productions, le jeu corporel est mis en avant et parfaitement maîtrisé, tant pour les chorégraphies que les tableaux humains. Le mélange subtil des deux traditions théâtrales occidentales et orientales apporte un intérêt visuel évident, mais aussi sonore car la langue est également utilisée comme source de décalage, les acteurs échangeant par exemple le français et le japonais.

C'est une féerie poétique et visuelle, une ode à la confrontation des cultures et des époques. L'ultime scène de la mort de Juliette et de son Roméo en est peut-être la quintessence : sur une charrette de bois, le cercueil de l'héroïne tout de blanc vêtue repose sur un lit de pétales de fleurs rouges, tandis que Roméo court comme un fou tout autour pendant qu'un chœur japonais scande l'insoutenable.

Qu'on aime le théâtre ou qu'il nous agace d'une manière générale, il faut voir une fois un spectacle de ce diable d'alchimiste d'Omar Porras qui sait comme personne transmuter les éléments judicieusement pris ça et là pour nous donner l'or de cet art.

Jean-Michel Beugnet

 

 

Roméo et Juliette

D’après William Shakespeare
Mise en scène et adaptation d'Omar Porras

Avec Adrien Gygax, Tsuyoshi Kijima, Pierre-Yves Le Louarn, Micari, Yoneji Ouchi, Morimasa Takeishi, Momoyo, Tateno, Takahiko Watanabe, Miyuki Yamamoto et Ryo Yoshimi.