RÊVEZ

Les déchargeurs
3 Rue Déchargeurs
75001 Paris
0892 70 12 28
Jusqu’au 16 avril les lundis à 19h30

Augustin Burger et Laure Godfrin livrent une très belle adaptation du livre de Charlotte Béradt dans lequel elle racontait les rêves de 300 personnes d’origines diverses à l’aube du nazisme de 1933 à 1939.

Ce texte qui fait froid dans le dos démontre implacablement à quel point une dictature nous déshumanise au point que nous en devenons les alliés inconscients. Ces rêves nous montrent l’impact non de la violence mais plus insidieusement d’une peur diffuse et de l’atteinte de repères familiers.

Dans les six premiers mois de 1933 en effet tout est déjà en place de ce qui va déformer la perception et les comportements : omniprésence de la propagande sous forme de lois, décrets, haut-parleurs, banderoles, affiches proclamant l’obligation de saluer, de chanter, de se taire. La domination est totale et se retrouve dans les rêves, amenant à une servitude volontaire inconsciente. Quand on vit  dans un monde où tout est réglementé, organisé, contrôlé, sécurisé, on n'a presque plus besoin de penser, on est « programmé ». C’est un « Big Brother » avant l’heure.

Rien ne peut donc résister à la terreur brune, tous s'effondrent en rêve, se font complices de leur servitude, persécuteurs internes qui relaient la pression extérieure de la propagande et de la violence ambiante. Ils sont accablés, et nous aussi. Car ce qui nous touche, c’est la résonnance avec notre vécu. Toutes les petites compromissions, les silences polis, les omissions que nous faisons sont du même ordre, ce sont les mêmes mécanismes qui sont en jeu sauf que pour eux, il s'agit de vie, de mort, d'humiliations, d'aliénation.

Marjorie Leblanc et Renaud Durand, les deux interprètes, nous promènent ainsi avec talent d’un cauchemar à l’autre dans une ronde infernale - quoiqu’un peu répétitive - quasiment chorégraphiée. Ils deviennent à tour de rôle chacun des rêveurs ou l’auteur elle-même simplement à l’aide de quelques accessoires, chapeaux, manteaux, masques, soutenus par une superbe bande son.

On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec notre époque où le matraquage médiatique crée tout autant une forme de servitude, d’aliénation de la pensée.

Peu à peu pourtant l’idée de résistance va s’installer : résistons et réfléchissons pendant que nous sommes éveillés semble nous dire ce spectacle, particulièrement la mise en scène du final, magnifique, qui installe dans nos mémoires  une image d’une beauté puissante et symbolique. Tout est dit.

 

Nicole Bourbon

 

 

Rêvez d’après rêver sous le IIIème Reich de Charlotte Béradt

Mise en scène Laure Godfrin
Adaptation Augustin Burger et Laure Godfrin
Avec Marjorie Leblanc, Renaud Durand